Le patrimoine est fragile, et si les guerres ont prélevé un lourd tribut patrimonial à Orléans de par sa situation sur la Loire, le nombre de destructions “pacifiques” manifeste un étonnant aveuglement quant à la conservation d’éléments architecturaux, bien souvent au nom d’une modernité ravageuse dont furent victimes bien des “pépites” patrimoniales.
Par Gérard Poitou
Ancien Théâtre d’Orléans devenu bureaux municipaux. cl Patrice Delatouche
Dès 52 avant JC, Jules César, qui n’aimait pas les Carnutes, ordonne à ses légions de raser et de piller Cenabum, l’ancêtre d’Orléans sur les bords de Loire. Quelques siècles plus tard, ce fut le triste sort que connut la collégiale Saint-Aignan, détruite à quatre reprises, d’abord saccagée par les Vikings en 865 puis détruite par l’incendie de 999, reconstruite par Robert le Pieux, elle est de nouveau détruite durant la guerre de Cent Ans, cette fois par les Orléanais eux-mêmes qui craignaient de la voir utilisée par les Anglais comme bastion. Enfin, ce sont les Huguenots, dont Orléans fut une place forte, qui en raseront la nef en deux jours lors des guerres de religion en 1567. Les mêmes Huguenots orléanais détruiront également la cathédrale de la ville à 80%, faisant de cet édifice, qui nécessitera deux siècles pour sa reconstruction financée par engagement royal d’Henri IV, livrant au final un curieux pastiche des cathédrales du Moyen Age.
Vint la Révolution avec la confiscation des biens du clergé qui permit à l’architecte Benoit Leroux (“Le Vandale de Saint-Benoit“) de raser une vingtaine d’édifices religieux pour reconstruire de nouveaux bâtiments dédiés à l’industrie ou à la culture comme le théâtre de la place de l’Etape, lui-même détruit dans les années 70 du siècle dernier. Et puis ce fut l’après deuxième guerre mondiale qui vit le centre-ville d’Orléans en partie détruit par les bombardements de 40 et 44. Et si on échappa au projet de Le Corbusier faisant de la place du Martroi un carrefour de voies rapides cerné de tours, au nom d’une modernité nouvelle qui nous laissera l’indestructible patrimoine d’un monorail en béton traversant la Beauce, on rase à Orléans.
Un florilège de gares
La gare d’Orléans dans les années trente
C’est d’abord la gare d’Orléans, une des plus anciennes de France, la compagnie du Paris-Orléans reliant Orléans à la gare d’Orsay qui échappa elle, à la démolition dans les années 70. Celle d’Orléans fut détruite une première fois en 1902, cette nouvelle gare n’échappant pas à une nouvelle destruction après la Seconde Guerre mondiale pour laisser place à une gare en béton style année 50, encerclée par un centre commercial, elle sera à nouveau détruite en 2010… Et puis il y eut l’Hôtel des Poste, bâtiment néo gothique des années trente, que l’on retrouve aujourd’hui sur des cartes postales, lui aussi miraculeusement préservé durant la guerre et rasé sans regret aussitôt après. Ce fut aussi le sort du marché d’Orléans, halles style Baltard détruites pour faire place à de curieux champignons abandonnés pour un marché aujourd’hui ouvert à tous les vents. Qui se souvient aussi de la salle des fêtes du Campo Santo ou du théâtre à l’italienne dont on a conservé que la façade du bâtiment pour en faire les bureaux de la mairie ?
Bâtiments Rivière Casalis détruits en 2010. cl GP
D’autres menaces…
Et les menaces sur le patrimoine persistent aujourd’hui encore comme la destruction des bâtiments Rivière-Casalis en 2010, pourtant représentatifs du passé industriel de la ville, ou cette idée du maire d’Orléans de raser le bâtiment “Famar”, création de l’architecte suisse Tschumi qui finalement sera préservée pour devenir le Labo, incubateur de start-ups. Et parfois les destructions sont plus insidieuses comme la destruction de la collection de plantes exotiques remontant au XVIIIe siècle de la serre du Jardin des Plantes transformée en salle de réception occasionnelle, ou la fermeture de la promenade de Louis XI au cloître Saint-Aignan bouchée par la construction d’un immeuble sans respect de la ligne des toits d’un patrimoine pourtant classé par l’UNESCO… ou tout simplement l’abattage des tilleuls d’une petite place tranquille envahie par les autos !
Et c’est sans doute une des vertus de ces Journées du Patrimoine que de sensibiliser le public à la préservation et à la défense d’un bien commun que les vandales, toujours au nom de la modernité, rasent sans état d’âme.
Plus d’infos autrement sur Magcentre : Benoît Lebrun, les crimes du vandale du Loiret exposés à Saint-Benoît-sur-Loire