En novembre 2014, Christian Bidault écrivait un papier pour la sortie d’un livre racontant la vie et l’œuvre de Marcel Bascoulard. Patrick Martinat, un collaborateur de la première heure de Magcentre et ami de Christian, avait publié une somme sur ce dessinateur hors pair, clochard vivant dans la ville de Bourges, qui se travestissait parfois. Une deuxième édition vient de sortir, augmentée d’une intéressante correspondance. Nous reprenons donc le papier original de Christian en l’augmentant d’un complément.
Bascoulard au travail dans les rues de Bourges
Il est singulier qu’un clochard raconte si bien la ville. Que la ville, Bourges, se reconnaisse avec tendresse dans ce dessinateur génial dont la silhouette pittoresque, hirsute, a des années durant, hanté les bas-fonds et surtout cette cour des miracles que fut au sortir de la guerre, Avaricum.
Patrick Martinat, journaliste berruyer, brillant correspondant de Magcentre dans le Berry et du Monde en région Centre, vient de publier un bel ouvrage sur Bascoulard. Riche de 300 œuvres, ce livre retrace la vie romanesque et cabossée de ce marginal dont la mère tua le père et qui finit lui-même étranglé sur le terrain vague d’Asnières-les-Bourges en 1978. Cette entame de vie difficile explique en partie cette vie de clochard revendiquée par choix. Autodidacte virtuose, il a, durant quarante ans, croqué avec une technique accomplie des centaines de dessins des monuments et des quartiers de Bourges. A la plume, au crayon, au pastel, à la gouache… parfois flanqué d’un de ses chats, barbe de huit jours, sale, et souvent habillé en femme.
Sur une des photos saisissantes (en noir et blanc) du livre, Bascoulard a de vrais-faux airs d’un Pierre Arditi, la gueule bouffée par une barbe de cinq jours, le cheveu long, gras et filasse, qui serait passé de la gauche caviar à la cloche anar.
Des dessins pour faire manger ses chats
Aujourd’hui, les dessins de Bascoulard devenus tendance se vendent de mieux en mieux. Mais pourquoi n’a-t-il pas été reconnu de son vivant ? « Il laissait ses dessins aux amis chez qui il passait, négociant la viande pour ses chats contre ses œuvres », raconte Patrick Martinat. Il y eut en 1968 une exposition de ses dessins à la Maison de la culture de Bourges, qui témoignait des transformations de la ville au fil du temps. « Il se racontait tout et n’importe quoi sur Bascoulard, alors pour écrire ce livre j’ai fait une véritable enquête journalistique ».
Patrick Martinat est ainsi remonté aux sources de cet original talentueux, maniaque du détail, de la précision, de la justesse, toutes qualités qui ne collent pas vraiment avec cette vie en guenilles, aux franges les plus reculées de notre société.
Des cartes en vue d’un atlas
L’éditeur a surtout choisi de publier des dessins à l’encre de Chine, ainsi que des œuvres abstraites, plus tardives, et de remarquables cartes de géographie, que Bascoulard, en voyageur immobile, recopiait avec précision du fond de sa cahute pour les réunir un jour en atlas.
Patrick Martinat a d’abord fait un travail de journaliste pour retrouver la trace de Bascoulard.
Pourquoi Patrick Martinat, auteur entre autres d’un ouvrage très fouillé sur Alain Fournier et sa mort au combat, a-t-il « flashé » sur Marcel Bascoulard qu’il n’a jamais rencontré ?
« Parce que c’est un personnage de roman ». Dans le Berry républicain de 1950, un journaliste décrit ainsi l’intérieur miteux de Marcel Bascoulard : « …une chaise…une seule, cassée, sur laquelle étaient posés des livres, des croûtons de pain, des revues illustrées, une casserole sale, des bouts de papier tachés de graisse et un reste de viande sur lequel se promène une mouche verte. »
Un artiste hors normes
Marcel Bascoulard interviewé par Stéphane Collaro.
Personnage décalé, excentrique, pacifiste, Marcel Bascoulard fait aussi l’objet de légendes comme celle de ce roman policier dont Patrick Martinat a retrouvé le manuscrit écrit par un professeur du lycée Alain Fournier. Bascoulard y apparaît comme le suspect numéro 1 du meurtre d’un enseignant.
A force de traîner dans les rues de Bourges, le clochard magnifique s’est même inscrit dans les légendes urbaines. Personne n’aura comme Bascoulard peint Bourges avec autant de talent. Cette superbe monographie, introduite avec la verve et la patte que l’on connaît à Patrick Martinat, en fait un ouvrage indispensable a ceux qui veulent découvrir un artiste hors des sentiers battus.
Christian Bidault
La nouvelle édition du livre de Patrick Martinat, sortie en avril 2023, contient des reproductions supplémentaires, mais surtout un échange de lettres entre le clochard céleste et Joseph de La Nézière. Berruyer lui aussi, né en 1873, il exerce ses talents de dessinateur et de peintre aux colonies naissantes, puis devient affichiste reconnu. Marcel Bascoulard, de quarante ans son cadet, le rencontre en 1933 à Bourges, et pendant 4 ans, ils vont échanger des lettres. Dix-neuf d’entre elles ont été retrouvées et figurent dans la nouvelle édition, retranscrites mais aussi photographiées pour montrer l’incroyable écriture régulière et appliquée de Marcel. Bascoulard parle de tout, même d’argent, mais surtout il considère Joseph de La Nézière comme son maître et leurs échanges sont très techniques, ce qui est assez étonnant pour l’autodidacte qui a toujours refusé ne
serait-ce que les conseils de la faculté ! Une sorte d’affection père-fils ressort en outre de cet échange que la guerre a interrompu. On découvre donc une facette complémentaire de cet incroyable personnage.
Bernard Cassat
Bascoulard
Dessinateur virtuose, clochard magnifique, femme inventée
Texte de Patrick Martinat
Les Cahiers dessinés
384 pages – 59 euros