Un peu plus de 15 % de la population française est en situation d’illectronisme et 28 % des usagers d’Internet ont « des capacités numériques faibles », selon une nouvelle étude publiée par l’Insee.
Par Zoé Cadiot
Contribuables perdus, centre des impôts débordé. La nouvelle obligation déclarative des biens immobiliers au fisc, à faire avant la fin du mois, suscite depuis plusieurs semaines le désarroi de nombreux propriétaires, déboussolés par une procédure entièrement dématérialisée. Car si de prime abord, la démarche semble assez simple depuis le site des impôts dans les faits, compléter, corriger le formulaire, ponctué de fenêtres et subtilités administratives sur les m2 et autre loi Carrez, relève du parcours du combattant pour des contribuables, peu enclin à la langue de Bercy ou en délicatesse avec les outils informatiques. Et ils sont très nombreux, selon l’administration fiscale qui accordait fin juin aux retardataires, à la demande de ses services, noyés par les appels à l’aide, un délai d’un mois supplémentaire, soit le 31 juillet pour transmettre leur déclaration.
Phénomène connu
Les difficultés numériques de certains propriétaires à remplir en ligne leur déclaration sont connues. Comme celles de demandeurs de prestations sociales qui n’arrivent pas à finaliser leur demande à la CAF ou de parents d’élèves qui ont du mal à accéder aux applications scolaires, comme utiliser le carnet de correspondance numérique de leur enfant. L’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) vient d’ailleurs de publier les résultats de son enquête annuelle sur ce phénomène, dénommé illectronisme. Contraction d’illettrisme et d’électronique, l’expression traduit les difficultés ou l’incapacité d’une personne à utiliser des appareils numériques et des outils informatiques.
Et à lire l’étude de l’Insee, le phénomène est loin d’être marginal. Outre les 28 % d’usagers aux « capacités numériques faibles », 15,4 % de la population étaient en 2021 en situation d’illectronisme. Plus précisément, 13,9 % d’entre eux n’ont pas utilisé Internet au cours des trois mois précédant l’enquête et 1,5 % l’ont fait avec parcimonie, car souvent privés d’une des cinq compétences numériques de base pour surfer sur Internet. A savoir : la recherche d’informations, la communication (courriels par exemple), utilisation de logiciels comme des traitements de texte ou de tableurs, la résolution de problèmes en ligne (accéder à son compte en ligne, recours à des tutos) et la protection de la vie privée (interdire la géolocalisation, refuser les cookies…). C’est sur ce dernier point où ça peine le plus. Et quel que soit l’âge même si l’illectronisme touche plus particulièrement les anciens !
La région à la peine
62 % des 75 ans et plus, et un tiers des plus de 60 ans, contre 2 % des 15-24 ans, avouent leur désarroi devant l’écran. Aussi, rien d’étonnant que les régions Bourgogne-Franche-Comté et Centre-Val de Loire où les populations sont plus âgées qu’ailleurs (35 % des habitants ont 60 ans ou plus, soit 4 points de plus que dans l’Hexagone ndlr), soient davantage exposées au risque d’illectronisme. Le taux est d’ailleurs de 19 %, contre 16 % pour la moyenne nationale. Soulignons que dans notre région, seules 21 % des personnes de plus de 15 ans présenteraient de fortes compétences numériques, contre 30 % en France métropolitaine. A l’inverse les régions Île-de-France, Pays de la Loire, Auvergne-Rhône-Alpes et Bretagne où la population est plutôt jeune seraient davantage préservées de l’illectronisme.
Fracture numérique
Petit bémol toutefois de la part des auteurs de l’étude qui rappellent que les effets de l’âge seraient contrebalancés par le niveau de qualification. Ainsi 9 % des ouvriers sont touchés contre 2 % des cadres. Et si 36 % des retraités avouent de grandes difficultés, leur population est loin d’être homogène : 51 % des anciens agriculteurs, commerçants et artisans, et 53 % des anciens ouvriers sont en situation d’illectronisme, contre seulement 10 % chez les anciens cadres. Ce manque de compétences, de formation, auxquelles s’ajoutent souvent des fragilités économiques explique aussi l’important taux d’illectronisme dans des régions aux « populations plus jeunes » comme les Hauts-de-France ou des départements franciliens qui cumulent les handicaps. « Les 20 % les plus modestes ont 6,6 fois plus de risques d’être en situation d’illectronisme que les 20 % les plus aisés », rappellent les auteurs de l’étude, tout en pointant le risque d’illectronisme élevé dans les petites communes, éloignées des villes et des pôles urbains.
Covid et dématérialisation
Dernier enseignement de cette étude : entre 2019 et 2021, l’illectronisme a légèrement reculé en France (- 3 points). L’Insee note en effet des changements de comportements, liés à la pandémie du Covid-19. Toutefois, pour nombre d’observateurs, le Covid n’explique pas tout. La dématérialisation grandissante des services aux particuliers comme l’illustre la dernière campagne de déclaration obligatoire des biens immobiliers du fisc pousse en effet nombre de personnes à se former et donc à sonner à la porte de nombreuses associations et autres services territoriaux, qui luttent contre l’exclusion numérique et sociale.
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