Invités à se rassembler devant les mairies à midi pour condamner les violences, citoyens, élus et responsables associatifs ont répondu à l’appel de l’Association des Maires de France (AMF). Ils étaient plusieurs centaines à Montargis, Blois, Orléans et dans d’autres villes de la région à appeler à l’apaisement dans le pays.
Par Isabel Tognarelli, Jean-Luc Vezon et Mael Petit
C’est un début de semaine difficile. Une reprise du boulot bien plus éprouvante qu’à l’accoutumée pour les villes et leurs élus, les têtes toujours sonnées, sentiment renforcé par la grisaille matinale et son crachin qui assombrissaient un tableau déjà bien déprimant, ne pouvant compter sur le soleil de juillet pour le dégager. Faut croire que la météo était raccord avec le climat morose qui règne depuis jeudi sur la région et tout le pays. Les villes enchaînent les réveils avec une gueule de bois qui s’étire sur plusieurs jours. Les émeutes et les scènes de pillages se sont multipliées, nombre de bâtiments dont des mairies ont été saccagés, des élus agressés (attaque du domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses à la voiture bélier, voiture de l’édile de Saint-Pierre-des-Corps brûlée sous ses yeux…). C’en est trop pour l’ensemble des élus qui se sont rassemblés devant les mairies à
l’appel de l’AMF (
association des maires de France). Des rassemblements sous forme de
« mobilisations civiques » pour réclamer
« un retour de l’ordre républicain ».
Montargis relève la tête
A Montargis, l’état d’esprit est au rassemblement des forces. Il s’agit d’entourer ceux qui sont le plus affectés afin de les soutenir et entamer la reconstruction. Benoît Digeon, maire et lui-même ancien commerçant, connaît le caractère aléatoire de la vie des commerçants, une catégorie sociale où tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, loin s’en faut. Avec la fermeté et la détermination que personne (pas même ses plus fervents opposants) ne saurait lui contester, il travaille au redressement de la ville, avec notamment l’aide d’un architecte. Un point de chute a été trouvé pour la pharmacie et pour le magasin de vêtements qui ont totalement brûlés. Le cas du magasin de décoration semble plus difficile à résoudre. Les vitriers sont à l’œuvre pour effacer les traces. L’énergie déployée dans ce mouvement semble inversement proportionnelle à celle mise dans le saccage et le pillage, à la différence près qu’elle va s’inscrire dans le temps. Il restera à panser les plaies intérieures, ce qui n’est pas le plus facile.
Comme d’autres villes, Blois a subi la violence des émeutes urbaines avec en particulier l’incendie de la Poste rue Michel Bégon et celui du poste de police municipale rue de la Garenne où un adjoint a dû être évacué. Malgré les appels au calme du maire, la ville a été touchée avec des commerces pillés, des véhicules et du mobilier urbain incendiés. (1)
L’appel de l’AMF a donc trouvé un large écho avec la présence d’élus de l’agglomération de tous bords dont certains revêtus de l’écharpe tricolore. Avec attention, chacun a écouté l’intervention du maire de Blois Marc Gricourt qui, s’il comprend la détresse déclenchée par la mort du jeune Nahel, condamne sans réserve les destructions de biens publics et privés et la mise en danger des personnes.
« Je fais confiance à la justice. Nous sommes en démocratie, chacun peut manifester pacifiquement et faire usage de son bulletin de vote s’il est en désaccord. Je veux témoigner de notre solidarité avec les pompiers, policiers et gendarmes », a assuré le 1er magistrat en rappelant la place essentielle des collectivités locales dans les politiques publiques de prévention. « Nous méritons l’attention de l’Etat », a insisté Marc Gricourt.
Une minute de silence puis la Marseillaise ont ponctué ce rassemblement qui s’est tenu dans la dignité mais dans lequel on notera l’absence des jeunes générations.
« On s’attaque aux sentinelles de la République »
La sidération passée, de nombreux blésois ont tenu à témoigner de leur solidarité avec les élus, en première ligne pour défendre la République. C’est le cas de Frédéric Maragnani, directeur de la HAG, venu en voisin. « C’est important d’être là. Je suis préoccupé de l’état de notre République », insistait-il en mettant en avant « l’éducation et la pédagogie pour combattre la violence ». Et de poursuivre : « Mieux financer les services publics est aussi une réponse en particulier la culture ciment du vivre-ensemble ».
A Orléans, point de discours. Tout juste quelques réactions micros tendus dans une atmosphère assez lourde. Les élus, alignés côte à côte, ont décidé de faire front, soutenus à l’arrière du bataillon par quelques Orléanais venus leur témoigner plusieurs messages de soutiens. On échange sur les événements de ces derniers jours, sur les images aperçues à la télé ou sur les réseaux sociaux. Le maire adjoint d’Orléans Florent Montillot a lui assisté toutes les nuits en direct à ces scènes de violence depuis jeudi. En compagnie du maire Serge Grouard, il a vu « ces poignées de sauvages » s’en prendre à sa ville. Pour lui un cap a été franchi au moment où des élus et des mairies ont été pris pour cible. « Quand je vois ce qui est arrivé à mon ami Vincent Jeanbrun (maire de l’Haÿ-les-Roses), quand on arrive à faire rentrer dans une maison une voiture bélier sachant qu’il y a une famille dedans, c’est pour tuer, assène-t-il. En s’attaquant aux maires et aux mairies, on s’attaque aux sentinelles de la République ».
A gauche le discours est sensiblement le même. Le sénateur PS Jean-Pierre Sueur en chef de file tenait d’ailleurs à soutenir son ancien adversaire Serge Grouard dans cette période de turbulences. « Au delà de nos différences, s’il y a bien une chose qui nous anime, c’est l’amour de la République. C’est bien que l’on soit côte à côte pour dire non à la violence et faire comprendre que le nihilisme ne mène nulle part ». Pour ce qui est de la gestion de la crise par le gouvernement, le sénateur aurait bien des choses à dire, « mais l’heure n’est pas à la critique mais bien à l’unité nationale ».
L’extrême droite n’en demandait pas tant
Une ligne pas forcément suivie par tout le monde notamment lors du rassemblement à Blois. Abattu par la situation, Dominique Elbory, 1er adjoint au maire à Villefrancoeur, une commune de l’agglomération ne mâchait pas ses mots : « C’est la désolation mais je ne suis pas étonné. La présidence n’entend rien de ce que disent les Français depuis les Gilets Jaunes en passant par le rejet unanime de la réforme des retraites ou l’explosion de la pauvreté dans les quartiers où le taux de chômage des jeunes est deux fois plus élevé ».
Pour l’élu, c’est clair, les pouvoirs publics font « le lit de Marine Le Pen qui n’a même plus besoin de bouger le petit doigt ». Interrogé, Marc Gricourt était lui aussi sans concession : « Le projet de société actuel ne répond pas aux attentes des citoyens. Les Français ont besoin de considération et d’être mieux représentés ». Et d’ajouter la nécessité « d’un renforcement des moyens de sécurité publique » car à Blois, comme ailleurs, les forces de police nationale sont notoirement insuffisantes pour faire respecter l’ordre républicain et la tranquillité publique en particulier la nuit.
(1) A Blois, les dégradations n’ont toutefois pas connu l’ampleur constatée dans d’autres cités comme à Montargis.
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