Petr Václav nous plonge dans le monde de la musique italienne du XVIIIe siècle et nous fait découvrir l’un de ses génies d’origine tchèque. Magnifique fresque musicalement bien tenue, ce film est une vraie réhabilitation d’un immense musicien oublié. Très beau travail de reconstitution de cette époque, Il Boemo relève brillamment les multiples défis des films musicaux.
Par Bernard Cassat
Avec Amadeus, Miloš Forman a placé très haut la barre des films sur la musique.
Son compatriote Petr Václav, scénariste et réalisateur tchèque, relève le défi. Avec des handicaps sévères : il s’attaque à un musicien totalement méconnu de nos jours, de plus un Tchèque au nom imprononçable.
Musique, sensualité, libertinage. Photo Nour Films
Qui a connu une fin tragique, et c’est par là que le film commence. Comme un symbole de l’oubli terrible dans lequel l’histoire va manger ce musicien brillant, c’est un homme au visage mangé par la syphilis qui meurt à Venise en 1781. Petr Václav remonte le fil de cette vie difficile de compositeur dans l’Italie du XVIIIe siècle, Venise, Naples. Les vaches maigres du début, l’introduction par les femmes dans le milieu musical, donc dans la noblesse aisée, polyglotte et très libertine de Venise. Ce jeune homme plus germanique que méditerranéen va se dégrossir socialement petit à petit, et sa musique va s’imposer tant elle impressionne les maîtres d’alors. Les opéras, lieux comme genre musical, commencent à s’imposer, et cherchent de grandes œuvres à présenter au noble public. Josef Mysliveček, puisqu’il s’appelle ainsi, va entrer dans la danse à Venise, mais c’est Naples qui lui offre les opportunités qui le font devenir Il divino Boemo puisqu’il vient de Bohème. Il Bellerofonte devient un grand succès en 1767. Il Boemo a alors 30 ans.
Les théâtres italiens du XVIIIe siècle. Photo Nour Films
Son œuvre extrêmement féconde va s’égrener sur une vingtaine d’années. 95 symphonies, une trentaine d’opéras, de la musique orchestrale et de la musique de chambre. Le film utilise quelques arias d’opéra représentatifs de son art, des prouesses vocales magnifiques. On le définit comme pré-mozartien, et c’est effectivement ce que l’on retrouve dans les moments que le film propose. La musique du Boemo s’impose par sa virtuosité, sa légèreté, sa vivacité et son ampleur qui amènent une émotion profonde. Cet admirable moment, par exemple, chanté dans le film par le contre-ténor
Philippe Jaroussky, l’alliance de la beauté et de la mort, se retrouvera dans des morceaux puissants de Mozart. De vingt ans son aîné, Il Boemo a d’ailleurs rencontré le jeune prodige, alors âgé d’une dizaine d’années. Le film reconstitue cette rencontre. Et l’histoire raconte que la musique du Boemo a beaucoup inspiré Amadeus par la suite.
Jouer en costumes éclairés par des bougies. Photo Nour Films
Petr Václav inscrit ce biopic dans une évocation travaillée et très précise du milieu noble de l’époque, libertin mais aussi très soumis à des conventions rigoureuses et au pouvoir des hommes sur les femmes, même si celles-ci les déjouent avec plus ou moins de bonheur. Venise et ses masques très présents, le monde des théâtres où se donnaient les opéras, les fêtes et les libations dans les loges, ce XVIIIe siècle est reconstitué précisément avec beaucoup d’élégance, renforcé par un très grand travail sur l’éclairage, la douce lumière des bougies, le souci des couleurs et les prodigieux décors de Venise, en extérieur aussi, ou de Naples. La sensualité de l’histoire et des images fait écho à celle de la musique. Présente non pas par petits aperçus, mais par de vrais moments, des citations suffisamment longues pour faire ressentir la force de ces morceaux.
Pourtant les difficultés pour l’équipe étaient nombreuses. Problèmes de langues (l’acteur Vojtech Dyk choisi pour incarner Il Boemo ne parlait pas italien), les orchestres en costumes… Tous ces défis ont été brillamment relevés. Le film est flamboyant et introduit magnifiquement à la musique inconnue de ce compositeur pourtant très important dans l’histoire de la musique. Espérons qu’il lui redonnera la place qui lui revient.
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