Acteur, scénariste et réalisateur, Andrea Di Stefano signe un polar à fleur de peau. Narration maniériste et détails parfois trop poussés affaiblissent une réalisation luxueuse. Le personnage central, magnifiquement interprété par Pierfrancesco Favino, nous entraîne dans un jeu de flics et de voyous qui tourne au drame, évidemment.
Par Bernard Cassat
Les deux amis flics passent de l’autre côté de la loi. Pierfrancesco Favino et Francesco Di Leva. Photo Loris T. Zambelli.
Coté histoire, Dernière nuit à Milan a tous les poncifs du polar, heureusement revisités. Un flic incorruptible qui va tomber dans des panneaux gros comme des immeubles de 29 étages. Mais il est touchant, ce Franco Amore (!) parce qu’au-delà de sa naïveté à fleur de peau, il reste droit dans ses bottes dans des situations invraisemblables. Au fond, c’est un petit, tout petit flic, même quasi un minable, comme les aiment souvent les polars. Il a attendu toute sa vie une nomination au poste de commissaire qui n’est jamais venue. Il loge dans un appartement en périphérie de Milan et est dominé par sa femme, aimante certes, mais qui porte la culotte. Et qui n’a pas la langue dans sa poche. Il y a aussi au sein de la police des éléments totalement corrompus, mais le scénario les laisse dans l’ombre, se contentant des conséquences que leurs actions impliquent. Il y a la famille, puisqu’on est dans un pays de mafia. La famille de la police, les familles des policiers, dont des cousins dignes des pires personnages de polars hollywoodiens. Mais pour renouveler le genre, la mafia ici est chinoise. Et puis il y a les heures (tout se passe la nuit) et les lieux modernes (autoroutes, tunnels urbains). Avec bien sûr en toile de fond, la question de la morale, du bien et du mal, du respect de la société et des gens, de l’appât irrépressible de l’argent. Tout cela baigné de suspens créant une anxiété importante, même si le récit accumule les invraisemblances. Mais bon, on n’est pas dans une analyse sociale ni une critique politique.
Un extraordinaire survol de Milan by night
Le film est lent à démarrer. Après une époustouflante séquence de générique de début sur fond de Milan by night, la fête de famille est vraiment très longue. Surtout qu’on y reviendra en la voyant avec d’autres points de vue. Car Andrea Di Stefano a largement recours à des broderies narratives pleines de maniérisme. Pas toujours utiles, elles compliquent encore un récit parfois très opaque qui n’élude pas les détails sans nous donner, parfois, les éléments importants, dans un jeu là encore avec les techniques narratives du roman noir.
Franco Amore en plaine action. Photo Loris T. Zambelli
Et puis il y a les acteurs, ce couple Pierfrancesco Favino et Linda Caridi. Lui, on l’a déjà vu dans des rôles de films noirs (Nostalgia, Le Traitre). Il incarne à merveille ces personnages bruts de décoffrage, qui luttent intérieurement contre des démons mais n’en laissent rien paraître. Son visage imperturbable laisse juste passer ce qu’il faut pour que le spectateur comprenne. Son physique un peu lourd et sans grande élégance le rend puissant à l’image. Qu’il soit en jogging ou en costume, il n’est jamais ridicule. Et son côté fatigué campe à merveille ce personnage de Franco Amore, arrivé au bout de 35 ans qu’il n’a pas vraiment digérés.
Dernière nuit à Milan reste dans la catégorie des séries B. Les rebondissements faciles et télescopés (on voit mal Franco Amore aller vendre des diamants en douce) obligent le récit à développer un peu trop les détails, et hésitent entre film de la pègre très série noire et petits arrangements familiaux. Les personnages, tout attachants qu’ils soient, n’ont pas assez de profondeur pour véhiculer une réflexion intéressante. Et pourtant l’image est belle, le montage précis. Du beau cinéma, en somme. Dommage qu’il ne sorte pas du lot des innombrables polars qu’on a pu voir depuis des années.
Quinzaine en salle Cannes 2023
Les films présentés à la quinzaine des cinéastes de Cannes cette année passent dans certaines salles. Aux Carmes, jusqu’au 18 juin, on peut en voir certains.
Par ailleurs, Les filles d’Olfa, de Kaouther Ben Hania, sera projeté en avant première le 25 juin en présence de la réalisatrice.
Tous les renseignements et horaires ici.
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