Au CDN d’Orléans, luttes des classes en Catalogne

Le CDNO poursuit sa collaboration avec le théâtre catalan, en nous proposant
« Terra Baixa (reconstitution d’un crime) », qu’on aurait pu sous-titrer « Mort d’un salopard », adaptation d’un texte du dramaturge catalan
Àngel Guimerà (1845-1924).

Par Bernard Thinat


Produit par le « Teatre Nacional de Catalunya (TNC) », qui pour celles et ceux connaissant Barcelone ou pas, est un édifice en forme de Parthénon, conçu par l’architecte Ricardo Bofill en 1996, la pièce adaptée et mise en scène par Carme Portaceli, son actuelle Directrice, réunissait une dizaine d’artistes catalans, en parfaite parité, sur le plateau de la salle Touchard du théâtre d’Orléans, pour deux représentations.

Le Théâtre National de Catalogne à Barcelone – Photo Nicolas Janberg


Dans la nuit, des hommes et des femmes s’éclairent à l’aide de torches, des loups font entendre leurs hurlements, on craint l’apparition de deux hommes ; une femme, Marta, court en tous sens, sentant l’horreur survenir. Et elle survient ! Deux hommes aiment Marta, l’un est le maître du domaine qui a fait d’elle son objet sexuel, l’autre un pauvre berger, un peu simplet, que l’on a marié par ruse avec cette femme. Le second tue le premier, l’homme et la femme s’enfuient. Le décor est donc planté dès la première scène.

La suite est l’enquête menée par un policier, dont on apprendra qu’il a les mains couvertes du sang d’anarchistes, et d’une journaliste, laquelle s’adresse parfois carrément au public afin de resituer ou d’éclaircir la situation. De retours en arrière, nombreux, avec témoignages expliquant comment on en est arrivé au crime, au temps de l’enquête, les scènes se succèdent avec une fluidité certaine. Les deux heures quinze passent finalement relativement bien, quoique le spectacle soit en langue catalane, avec sur-titrage. Il eut été néanmoins judicieux d’alléger la traduction, la lecture du texte avec un débit de paroles très rapide (ils sont comme cela, nos amis ibériques), s’avérant des plus délicats si l’on veut regarder ce qui se passe sur le plateau.

Marta – Photo TNC


Àngel Guimerà
plonge cette enquête policière dans l’histoire de la Catalogne, dès la bombe qui explose en 1896 lors d’une procession au sortir d’une église et qui fit 12 morts. L’adaptation prolonge l’historique jusqu’aux abords de la Seconde Guerre mondiale, lorsque deux protagonistes de l’affaire se retrouvent par hasard et prennent des nouvelles des deux amants. Sans doute pour Àngel Guimerà, la mort du chef préfigure les bouleversements que connaîtra l’Espagne, avec les soulèvements ouvriers, jusqu’à la guerre civile.

Certes, ce n’est pas un spectacle facile, de ceux dont on ressort souriant et plein d’allégresse. Mais le théâtre, c’est aussi cela, mettre en parallèle l’histoire tragique d’un pays et une sordide histoire d’amour. Et comme un clin d’œil à la Commune de Paris en 1871, nous eûmes droit au « Temps des Cerises », d’abord en catalan, et au final en français : délicieux !

5 femmes, 5 hommes : parité sur la scène – Photo B.T.


A suivre : la programmation du CDN d’Orléans pour la saison 23/24.

Plus d’infos autrement sur Magcentre : On va encore au théâtre en juin…

Commentaires

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  1. Sans doute, peu de spectateurs venus au CDNO assister à l’une des deux représentations de “Terra Baixa (reconstitution d’un crime)” que proposait le Teatre Nacional de Catalunya mardi et mercredi connaissaient l’œuvre originelle d’Àngel Guimerà. Le texte, traduit en une quinzaine de langues, ne l’est pas en français. En Catalogne, tout le monde connait : on a étudié la pièce à l’école, on l’a vue au théâtre (où elle est fréquemment montée par des troupes professionnelles ou des groupes amateurs). On en connait, à tout le moins, l’adaptation filmique de 2011, pour la télévision.
    Une recherche sur Internet, via You tube, permettra à chacun de visionner un bon nombre de mises en scène de Terra Baixa, peu différentes les unes des autres et respectueuses, tant dans le fond que dans la forme, dans son déroulement et dans la caractérisation des personnages, de l’œuvre originelle. Au plateau, la scénographie est fortement réaliste.
    Baixa (reconstitution d’un crime) est, dit la feuille de salle (par ailleurs chichement informative), une adaptation de “Terra Baixa”. Le terme « adaptation » s’avère ici d’une justesse redoutable. La pièce du poète catalan était juste un peu plus qu’une histoire où l’amour gagne, au prix du sang, contre le pouvoir. Pas une pièce politique au sens que nous donnons désormais à ce terme. “Terra Baixa reconstitution d’un crime)” est un total démontage-remontage, une quasi réécriture, de l’œuvre d’Àngel Guimera par le Teatre Nacional de Catalunya Le travail est salutaire et il est remarquable – la seule limite étant que, pauvre spectateur français, nous ne sommes pas complètement “outillé” pour saisir, durant le temps de la représentation, toute l’amplitude et la richesse du changement de perspective. Dans l’œuvre originelle, le personnage du policier n’existe pas ni celui de la journaliste. Il n’y a place pour aucune enquête. Marta n’est pas arrêtée et elle ne va pas en prison. La fin de la pièce d’Àngel Guimerà est rapide, quasi expéditive : une fois le crime accomplie, Marta et Manelic fuient vers la montagne, sous le regard des villageois abasourdis. Aucune allusion sur ce qu’il advint, pour tous et pour chacun, dans la terre basse, une fois débarrassés du loup,

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