Jean-Pierre Door, cardiologue et député de la 4e circonscription du Loiret de 2001 à 2022, a été en 2011 le rapporteur de la mission parlementaire sur le Mediator. A ce titre, il a témoigné au procès en appel qui s’est tenu en avril dernier à Paris. Pour Magcentre, il revient sur l’impact institutionnel de cette affaire.
Propos recueillis par Izabel Tognarelli
Pourriez-vous nous rappeler le scandale du Mediator en quelques mots ?
Le Mediator a été un drame médical. Le benfluorex (1) – substance active du Mediator – était normalement uniquement destiné aux patients diabétiques.
Ce médicament a été détourné pour servir de coupe-faim. Il a occasionné des complications au niveau des valves cardiaques et de l’hypertension artérielle pulmonaire. On estime que ce produit a été utilisé par environ cinq millions de Français. Les victimes étaient souvent des femmes qui souhaitaient perdre du poids. Leur médecin leur a prescrit du Mediator comme coupe-faim. Il est extrêmement difficile de déterminer exactement le nombre de personnes victimes de complications. Le Dr Irène Frachon a été lanceuse d’alerte.
Comment a démarré cette affaire ?
D’une part, certains centres de pharmacovigilance ont signalé des effets indésirables du Mediator commercialisé par le laboratoire Servier. D’autre part, des médecins de la Sécurité sociale ont constaté qu’il y avait une forte prescription « hors AMM » (2). Je rappelle que le Mediator était initialement destiné aux patients diabétiques. Ces deux éléments ont conduit à un doute sur le produit. Certains pays comme la Belgique, la Suisse et l’Espagne l’ont interdit bien avant la France car l’Agence européenne du Médicament (EMA) avait déjà alerté. Il y a eu une « mauvaise coordination » entre l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSAPPS) et l’EMA. En France, le médicament a été utilisé jusqu’en 2009. Le laboratoire Servier ou bien les agences sanitaires – c’est à la justice de trancher – n’ont pas arrêté sa commercialisation alors que de graves effets secondaires étaient constatés.
Quelles ont été les conséquences de ce scandale médical sur les institutions ?
Il y a vingt ans, l’affaire du sang contaminé débouchait sur la Loi Kouchner. Avec l’affaire du Mediator, ce fut la Loi Bertrand, en décembre 2011. Elle a réduit le nombre d’agences ; créé l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) en remplacement de l’AFSAPPS, ainsi que les centres régionaux de pharmacovigilance. La loi Bertrand a essayé d’améliorer l’éthique médicale et scientifique en interdisant les conflits d’intérêt. Des contrôles sur la communication et la publicité des laboratoires pharmaceutiques ainsi que sur les pratiques des visiteurs médicaux (3) ont été mis en place. Après les essais cliniques, tout nouveau médicament passe désormais par l’Agence européenne du médicament qui accorde ou non l’AMM. C’est la Sécurité sociale et l’Agence française du médicament qui déterminent ensuite le taux de remboursement et décident de son usage médical. Cette chaîne a été renforcée par la Loi Bertrand, de façon à ce qu’il n’y ait plus de conflit d’intérêt entre les scientifiques et les laboratoires, les médecins et les laboratoires ; qu’il n’y ait plus de cadeaux, ni de publicité (qui n’est autorisée que sur des médicaments non remboursables par la Sécurité sociale).
Qu’en est-il du lobbying ?
Les lobbys sont au cœur des conflits d’intérêts. Ils agissent vis-à-vis des médecins et vis-à-vis des députés. Le lobbying a été interdit au niveau de l’Assemblée nationale. Un lobbyiste doit se déclarer auprès du secrétariat de l’Assemblée nationale pour obtenir un rendez-vous avec un député. Il en est de même au Sénat.
Estimez-vous qu’il reste des trous dans la raquette ?
Il faut en permanence contrôler, surveiller, évaluer. C’est tout l’intérêt de ce qui a été mis en place par la Loi Bertrand. Ainsi les déclarations de conflits d’intérêts sont-elles rendues publiques. Le Conseil de l’Ordre publie les déclarations d’intérêts des médecins et celles des experts hospitaliers, car c’est à l’hôpital que sont menées les études cliniques sur les médicaments.
(1) Le benfluorex, commercialisé par le laboratoire pharmaceutique Servier sous le nom de Mediator, est une substance dérivée d’une amphétamine.
(2) Une entreprise pharmaceutique qui souhaite commercialiser un nouveau médicament doit déposer un dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès des autorités de santé compétentes, nationales ou européennes.
(3) Un visiteur médical est le représentant d’un laboratoire pharmaceutique chargé de promouvoir les nouveaux produits auprès des professionnels de santé amenés à prescrire des médicaments.