Auteurs de BD et chercheurs explorent la Shoah

En parallèle de sa nouvelle exposition Shoah et Bande dessinée, le Cercil invite des auteurs et des chercheurs intéressés par ce thème. Ainsi le 2 mai 2023, Matthieu Blin, doctorant en histoire contemporaine et le scénariste BD Kris sont venus parler de leur travail. Un échange passionnant.

Par Sophie Deschamps 

Kris et Matthieu Blin, scénariste BD et historien à la conférence du Cercil “Quand la BD se souvient de la Shoah” du 2 mai 2023. Photo SD

En ce printemps 2023, le Cercil, Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv met la BD en avant avec sa nouvelle expo Shoah et Bande dessinée (visible jusqu’au 23 novembre 2023). L’occasion pour ce lieu de mémoire orléanais d’inviter des spécialistes. D’où cette rencontre le 2 mai 2023 entre le scénariste BD Kris, qui a notamment adapté en 2017 le roman Un sac de billes de Joseph Joffo (1973). Et Matthieu Blin, doctorant en histoire contemporaine à l’université d’Orléans. Ce chercheur travaille sur la représentation de la Seconde Guerre mondiale dans la BD jusque dans les années 70. 

Pour Matthieu Blin, c’est la lecture de BD dans sa jeunesse qui l’a dirigé vers la Seconde Guerre mondiale : « C’est l’un des sujets les plus traités dans la BD contemporaine. C’est pourquoi j’ai choisi de travailler sur les revues jeunesse française des années 40 aux années 70 ».

Violence omniprésente dans la BD jeunesse jusqu’en 1949

Concernant la Shoah, l’historien distingue plusieurs périodes à travers l’analyse de ces revues : « Il y a tout d’abord une période assez courte qui va de la libération à 1949. On sort de la guerre et de nombreuses revues paraissent. Elles sont souvent très éphémères faute de papier ou de lecteurs. Certaines qui existaient déjà renaissent. Il y a Cœurs Vaillants (journal catholique, NDLR), son pendant communiste Vaillant (ancêtre de Pif Gadget, NDLR). Mais aussi Coq Hardi, qui a eu une grosse influence entre 1946 et 1951. 
La violence était omniprésente dans les récits, c’est-à-dire qu’on y voyait des cadavres, des morts d’enfants, des meurtres, des pendus, des scènes de torture… » 

Matthieu Blin, doctorant en histoire contemporaine. Conférence Cercil “Quand la BD se souvient de la Shoah”. Photo SD

Tout change en 1949 avec une loi qui va limiter la représentation de la violence dans la presse jeunesse : « De 1949 à 1975, il n’y a plus de sang, plus de meurtres. Les récits mettent en scène des jeunes résistants qui s’opposent aux nazis. Mais il n’y a plus de morts ou seulement par exemple des soldats allemands qui explosent de loin au bout d’un train. Après 1975, les auteurs retrouvent un peu de liberté avec le retour d’une certaine forme de violence ». 

Matthieu Blin souligne également le côté manichéen du graphisme de l’époque :
« D’abord entre 1944 et 1949, tous les Allemands présents en France sont des nazis, des SS. Ils sont tous hideux avec le visage déformé. C’est le cliché du Prussien. L’officier nazi est très grand avec le monocle. Les soldats allemands de base, eux, sont tous idiots, totalement aux ordres et hideux. On les appelle les Boches, les doryphores… Mais il va y avoir une évolution suite au rapprochement franco-allemand dans les années 50. Les Allemands restent des nazis mais il y a des bons soldats. Notamment ceux qui laissent passer les résistants. Dans les années 70 et 80, la figure du méchant demeure mais avec désormais des nuances. »

« La BD est l’art du ressenti »

De son côté, le breton Kris s’est passionné très jeune pour l’Histoire : « J’ai commencé une maîtrise d’Histoire dans les années 90 mais très vite, j’ai compris que j’avais surtout envie de raconter des histoires. (…) Car l’avantage du récit historique en BD c’est que tout ce qui manque en termes de faits, de preuves, nous, on peut aller voir ce qui s’est passé derrière la porte. Donc, mon amour de l’Histoire impacte énormément le scénariste que je suis. Mais je n’ai le souci du détail que s’il est pertinent du point de vue historique. (…) En fait, la bande dessinée est un art du ressenti. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas du tout un art de la reconstitution maniaque. Vous lisez une BD avec tout ce que vous êtes. Donc il ne s’agit pas de tout décrire. Par contre, il faut faire ressentir ce qui est signifiant, y compris les sons et les odeurs. »

Kris, auteur de BD

Kris, scénariste BD, Conférence CERCIL 2 mai 2023 “Quand la BD se souvient de la Shoah.” Photo SD

Dans la BD de Kris illustrée par Vincent Bailly Un sac de billes (éditions Futuropolis), l’une des premières scènes se passe en 1941 dans le salon de coiffure parisien du père des deux héros, Maurice et Joseph. Deux SS viennent s’y faire couper les cheveux. Au fil de la conversation l’un des nazis déclare que la guerre est la faute des Juifs. Avant qu’ils ne partent le père déclare abruptement que tous les gens présents dans le salon sont des Juifs. Un début de BD magistral qui permet à Kris, fils et petit-fils de résistants, de planter le décor : « C’est l’une des scènes pour lesquelles j’ai voulu adapter ce livre tellement elle est extraordinaire. En fait les deux SS entrent dans le salon parce que les deux gamins masquent l’affiche qui indique un commerce juif. Le père les laisse entrer et s’occupe d’eux. Mais il les piège par la parole pour leur dire au final que tout le monde est juif dans la boutique. Evidemment, ce sont les Allemands qui baissent les yeux. Et tout le récit va vers ça parce qu’en 1973, quand le livre est écrit, on est encore dans le récit du gendarme et des voleurs. C’est aussi un roman écrit à hauteur d’enfant. »

L’absurdité du nazisme 

C’est enfin un livre et une BD qui montrent l’absurdité de la guerre et du procès fait aux Juifs : « Ma scène préférée, que Vincent a réussi à faire ressentir graphiquement, c‘est quand le père des deux gamins, sentant le vent tourner, leur donne 5 000 francs pour passer la ligne de démarcation. Et il leur ordonne en hurlant de ne jamais dire qu’ils sont Juifs. Mais juste avant de partir Joseph, ahuri, se retourne et demande : “Papa, c’est quoi un Juif ?” C’est toujours la scène dont je me sers quand j’interviens dans des collèges ou des lycées. Car en fait c’est le récit parfait pour faire comprendre l’absurdité du nazisme. »

Plus d’infos autrement sur Magcentre : Hommage émouvant des jeunes aux victimes de la Shoah dans la cour du CERCIL

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