“La dernière reine”, une brillante tragédie algéroise

Un pirate qui s’empare du pouvoir à Alger, une reine qui veut l’en empêcher. Et qui sera La dernière reine. Ce film plonge dans l’Histoire algérienne, en tout cas algéroise. Réalisation impressionnante dans la reconstitution de la vie du palais d’Alger au XVIe siècle, casting impeccable, ce film sur une figure féminine, le premier du genre au Maghreb, est une très belle réussite.

Par Bernard Cassat

Photo de famille royale avant trahison. Photo Jour2Fête

Au début du XVIe siècle, la Méditerranée, fidèle à son histoire, est sillonnée par des flux de gens et de marchandises. Donc propice à la piraterie. Un célèbre pirate d’origine grecque, Baba-Oruç, encore nommé Aroudj ou Barberousse, prend son lot de batailles et de richesses. Or les Espagnols ont des vues sur la ville d’Alger. Si bien que le roi Salim Toumi fait alliance avec Aroudj pour lutter contre eux. Ils en ressortent vainqueurs après de rudes batailles, mais Aroudj veut évidemment le pouvoir à lui tout seul. Il élimine le roi et veut se marier avec la reine.

C’est ainsi que Damien Ounouri et Adila Bendimerad racontent cette période de la ville d’Alger. Histoire romancée, mais le fond est là. Et surtout, ils commencent à faire exister cette terre d’Afrique du Nord avant la colonisation, à donner corps à son histoire que peu de gens connaissent, en France comme en Algérie. Ça n’avait jamais été fait.

La reine Zaphira incarnée par Adila Bendimerad. Photo Jour2fête

La reconstitution de la vie dans le palais du roi Selim est absolument somptueuse. Décors et costumes sont précis, recherchés, agencés, filmés avec une minutie maniaque. Beaucoup de figurant-e-s, surtout des femmes puisque l’histoire développée dans le film est vue par les femmes. Le gynécée donc, les rapports du roi avec ses femmes, ceux des femmes avec les enfants. Cette vie de palais qui se déroule en vase clos est contrebalancée par la fureur des batailles des hommes, à l’extérieur. Barberousse, dans la violence exacerbée, perd un bras. Fait apparemment historique. Dans le film, il le remplace par un ancêtre des prothèses, qui le rend encore plus effrayant, comme un robot fait pour la violence. Il en joue en s’installant dans la ville, et même dans le palais. Ses hommes, un ramassis d’infidèles, tranchent sur le raffinement de la cour.

Une tragédie shakespearienne

Aroudj devient totalement dictateur, et ses hommes sont filmés comme les armées de Daech, sans qu’aucune référence religieuse ne soit développée. C’est pourquoi la dernière reine, nommée Zaphira dans le film alors que son nom n’a pas franchi les siècles, décide de lui tenir tête puis de l’éliminer. Surtout quand elle apprend ses crimes. Aroudj a tué toute sa famille. On est alors en plein dans les histoires tragiques et cruelles des lignées royales. Le récit comme les images prennent des allures shakespeariennes. Chaque rencontre peut devenir fatale, chaque parole tellement ambiguë qu’elle peut tuer. Le simulacre de relation amoureuse entre Aroudj et Zaphira n’est qu’une déclinaison d’une lutte à mort. La dernière reine Zaphira est une magnifique figure de femme qui joue sur tous les plans, l’amour maternel et conjugal, le respect de sa société. Ce que l’on peut appeler son nationalisme l’entraîne dans le terrible jeu du pouvoir semé de trahisons et de tueries. Mais son axe le plus fort est certainement la fidélité à sa famille.

La reine Zaphira en plein conflit de pouvoir. Photo Jour2fête

Cette période de l’histoire de l’Algérie est un moment charnière. Les Arabes dont Selim faisait partie vont laisser leur place aux Ottomans que le frère de Barberousse, qui prend le pouvoir après la mort d’Aroudj, va aller chercher pour lutter contre l’Espagne. La violence est omniprésente, comme dans tous ces moments historiques. Et la tragédie de cette dernière reine absolument poignante.

Adila Bendimerad rend très présente cette figure féminine. Entre amour familial, joie de la vie et de la cour et conflits de pouvoir dans lesquels elle s’insère à son corps défendant, cette actrice réalisatrice déploie toute sa subtilité. Elle dit que ce film était « une nécessité politique et poétique », indiquant en cela sa mise en avant des femmes. Avec une préparation et un tournage qui ont duré plusieurs années, elle a construit un film épique très important pour son pays. Cette tragédie du pouvoir inscrit l’histoire de cette partie de Méditerranée qui deviendra l’Algérie dans les histoires des grands pays de l’Occident. Avec une somptuosité brillante, même si l’Histoire est beaucoup romancée.

 

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