L’ASTI (Association de Solidarité avec Tou-tes les Immigrés) continue de constater des dysfonctionnements majeurs dans le fonctionnement du bureau des migrations à la préfecture. Elle n’est d’ailleurs pas la seule. L’Etat lui-même reconnaît que ses services ont de grosses carences.
Par Bernard Cassat
La queue pour le bureau des séjours. Photo BC
Vendredi 10 février, une délégation ASTI-Cimade a été reçue, sur sa demande, à la préfecture par le secrétaire général et la directrice des Migrations. L’article passé sur Magcentre le 9 janvier dernier a été évoqué, et bien sûr reproché. Il n’est jamais agréable d’entendre des critiques sur sa pratique et l’ASTI comme Magcentre ne s’étonnent pas de cette réaction.
L’ASTI nous confirme cependant le bien-fondé de ce qui était dénoncé. Le bureau des séjours de la préfecture insiste sur le fait qu’ils ne font qu’appliquer la politique décidée par le ministère de l’Intérieur, que cette politique ne se discute pas, bien évidemment. Et qu’à partir des directives nationales, ils font tout pour que les gens soient bien reçus. Or les renouvellements de récépissés, par exemple, continuent d’arriver en retard. La préfecture propose donc de remettre une attestation en attendant le véritable papier. D’où une demande supplémentaire, un nouveau délai, etc. Cependant, pour sécuriser les allées-venues de courriers, la préfecture s’est engagée à faire un suivi de courrier, plus simple que d’envoyer du courrier recommandé.
Le travail, clé de l’obtention de papiers
Par ailleurs, l’ASTI constate que désormais, pour obtenir un titre de séjour, « il faut montrer une volonté de travailler, de s’intégrer par le travail. Il y a même des cas où la préfecture délivre des cartes de séjour salarié au lieu de vie privée et familiale, quand bien même la personne ne cherche pas de travail. Une femme qui vient vivre avec son mari et qui élève ses enfants, par exemple », constatent les militants de l’ASTI. Ou des parents d’enfants nés en France. Ces différences techniques sont en fait majeures pour les immigrés.
Avec en plus des pratiques absurdes. Dans certains cas, les demandeurs de titre de séjour n’ont pas le droit de travailler. Or on leur demande quand même des feuilles de paye comme justificatifs.
« La question a d’ailleurs été soulevée pendant la réunion », nous dit Janine Carrein, présidente de l’ASTI. « Certains ont des contrats de travail au noir. A l’ASTI, on leur conseille de ne pas les envoyer ». Pour la préfecture, ils ont tort, assurant que de toutes façons, ce ne sont pas ces travailleurs-là qu’ils vont embêter par la suite.
Mais il y a aussi des dysfonctionnements flagrants en préfecture. « Récemment, trois dossiers déposés le même jour ont été refusés avec pour motif que les personnes n’avaient pas fait la bonne demande, d’où le refus. » C’est très technique, mais Janine Carrein constate que durant toute cette journée, l’employé(e) de la préfecture a confondu protection internationale et protection subsidiaire. Ils ont d’ailleurs reconnu par la suite cette erreur et les gens ont été régularisés.
Une désinformation à tous les étages
Certes, les employés du bureau des séjours sont débordés de demandes. La préfecture a recours à des intérimaires peu formés. Le problème est d’ailleurs plus vaste. Beaucoup de demandeurs qui arrivent à l’ASTI sont envoyés par des travailleurs sociaux. Qui demandent souvent aussi des informations, des renseignements sur les démarches, etc. Or l’ASTI aime à rappeler qu’elle ne touche aucune subvention de la mairie, de la métropole ni du département, employeurs de ces travailleurs sociaux. Côté formation, le problème semble immense.
L’accueil et la régularisation des étrangers, certes très complexes, posent un nombre de questions politiques et sociales qui manifestement restent sans réponse. L’attitude du ministère de l’Intérieur face à ce problème se radicalise de plus en plus, ce qui augmente considérablement les difficultés des démarches. Tout le monde en pâtit, mais les demandeurs sont plus pénalisés que l’administration.
Un analyste éclairé de la question de l’immigration
François Héran, professeur au Collège de France, a été invité sur la matinale de France Inter le vendredi 3 mars pour son livre Immigration : le grand déni. Son analyse est claire. Il y a entre 11 et 12 % d’immigrés en France. Beaucoup moins, en fait, que dans d’autres pays du monde. On n’est pas si attractifs qu’on le croit. Pour l’accueil des Syriens, des Iraniens, on est loin du compte. Idem pour les Ukrainiens.
Et puisque l’émission du 7-9 ouvre l’antenne à des questions d’auditeurs. Une femme orléanaise, « bénévole d’une association », est intervenue. (L’association n’est pas l’ASTI, mais le Secours Catholique, on le saura par la suite.) Elle décrit elle aussi les mêmes difficultés que les bénévoles de l’ASTI.
Francois Héran répond terme à terme : « Les principaux ministres ont parfaitement reconnu les dysfonctionnements en décembre, lors du débat sans vote au Parlement. Il y a plein de rapports qui les décrivent. Les préfectures ont perdu 14 % de leurs effectifs en 10 ans. Et les bureaux chargés de l’asile ont 30 à 40 % de personnel en moins, et prennent des vacataires formés rapidement. On a un état défaillant. Darmanin a même évoqué l’incurie de l’Etat qui fait que certaines personnes perdent leur titre de séjour. Mais on ne voit pas dans sa loi les mécanismes correcteurs. »
Ca fait un peu froid dans le dos, mais surtout celui des immigrés…
Le podcast en entier ci-dessous
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