Une projection exceptionnelle pour ce dernier jour de festival Récidive 68. Un film de Michel Ferry, directeur exploitant des salles Les Carmes. Un documentaire tourné en 2011 qui retrace l’histoire incroyable d’un film d’Edouard Luntz, le Grabuge, produit Daryl Zanuck, le célèbre producteur de la Fox. Avant la projection, Antoine de Baecque, délégué général de Récidive 68, a interrogé son président Michel Ferry.
Propos recueillis par Bernard Cassat
Michel Ferry et Agnieszka Holland venue présenter son film A l’ombre de Staline.
Antoine de Baecque : Ton film regarde beaucoup vers 68, même si c’est de travers, en oblique. C’est le travail d’un autre Ferry, avant d’être exploitant de salle. Réalisateur de films documentaires ?
Michel Ferry : J’ai commencé au cinéma très jeune, comme accessoiriste sur un film de Joseph Losey. Après, j’ai essayé d’être comédien. J’ai joué dans un film de Rohmer. Et je suis devenu assistant réalisateur, avec Louis Malle, Polanski, Lecomte, Agnieszka Holland. Ca se passait bien, mais j’ai eu très envie de faire des films. Un premier projet, Peine perdue. Toujours de beaux titres ! Qui ne s’est pas fait. Au dernier moment, on n’a pas eu l’avance sur recette. Du coup, je me suis lancé dans l’idée d’adapter un livre, Le Horla de Maupassant. C’était un truc qui me hantait depuis longtemps. J’ai écrit le scénario, le film s’est fait très vite. Et puis j’ai fait un autre film aux US et je suis revenu. Et puis ce film en 2011. Il est né d’une histoire que mon père racontait. Je trouvais ça très drôle, très absurde, sur un sujet intéressant. Luntz est dans le milieu du cinéma une légende. Il avait fait un premier film, Les cœurs verts, et on disait que c’était lui qui avait protégé, défendu le droit des réalisateurs à avoir le dernier montage sur le film, le final cut…
Antoine de Baecque : Don’t say yes before I finish talking, comme disait Zanuck. Ton film plonge de biais en pleine légende hollywoodienne et en même temps en pleine légende de la nouvelle vague finissante. C’était ça, Les cœurs verts. Un film tourné avec les principes de la nouvelle vague, mais avec des gens décalés, des blousons noirs. Donc dans ton film, on voit cela se croiser avec de très beaux portraits…
Michel Ferry : Daryl Zanuck tout d’abord. Il commence petit, comme scénariste, c’est lui qui invente Rintintin. Après il travaille pour la Warner, puis la Fox. Personnage hors normes et grand producteur très attaché à la France. Il a été mis plusieurs fois à la casse, et à chaque fois il revient. Luntz, c’est une aventure extraordinaire. Il tourne avec la bande de la Bastille, des blousons noirs, des marginaux. Son influence est telle qu’on peut penser que La haine de Kassovitz est très inspirée des Cœurs verts. Le père de Kassovitz était assistant de Luntz. Il a vraiment marqué les films sur la jeunesse. Dans la bande, il y a un type qui s’appelle Loulou. Il sort de prison. Il fait le tour de ses amis. L’un deux, Loustic. Pendant le tournage, mon père lui offre un appareil et il devient un légendaire photographe de plateau. Et Zim, autre acteur de la bande, devient ingé son et travaille pendant très longtemps.
Zim dans Les Coeurs verts, d’Edouard Luntz
Antoine de Baecque : Autre personnage que l’on voit beaucoup dans le film, ton père, Christian Ferry. Lui aussi une sorte de légende dans le métier. Son rapport très particulier aux tournages, un grand directeur de production. C’est aussi son portrait.
Michel Ferry : Absolument. Le fils de Luntz m’a d’ailleurs dit après avoir vu le film, « mais ce n’est pas un film sur mon père, mais sur le tien ». Effectivement. Il a commencé comme comédien. Et très vite il s’est retrouvé embrigadé dans le système de production américain qui se faisait en France. Jusqu’à la fin des années 70, les Américains avaient le droit de réinvestir le fond de soutien dans des films en France. D’où l’importance de la Fox dans le film, et des Artistes associés. La nouvelle vague a été énormément aidée par les studios américains. Le plus bel exemple, c’est Le Souffle au cœur de Louis Malle, qui ne se serait pas fait si Paramount n’était pas intervenu. Le CNC voulait le censurer. J’ai un courrier qui dit ce film est obscène, qu’il ne doit pas se faire. Les films de Faraldo, de Truffaut, de Godard sont aidés. Et ensuite ils sont bloqués par les studios. Parce qu’ils n’ont plus le droit d’investir directement dans l’industrie française. Ils n’ont plus voulu s’ennuyer à renouveler les droits. D’ailleurs, quand j’ai fini le film, j’ai voulu faire une projection et passer en même temps Le grabuge. J’avais retrouvé une copie du film. Et deux jours avant, la cinémathèque nous annonce que la Fox a retiré tout le matériel. Les droits n’étaient plus à jour…
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