Par Pierre Allorant
Les déboires parlementaires essuyés par le pouvoir macroniste dans sa tentative d’imposer à tout prix un recul de l’âge de la retraite massivement ressenti comme injuste socialement pourraient bien conduire à une déroute de l’exécutif, une retraite en rase campagne, qui fragilise bien au-delà le système politique et le lien de confiance déjà distendu entre le peuple et ses représentants.
Emmnanuel Macron pendant sa prise de parole devant le monde agricole à Outarville. © Émilie RENCIEN
Ubu roi nu
L’aventure solitaire d’Emmanuel Macron a été forgée dans le sentiment d’humiliation qu’il avait ressenti lorsque, de Matignon, son rival Manuel Valls l’avait privé d’un succès parlementaire en recourant au vote bloqué.
En une répétition sans doute inconsciente, il est possible que son second quinquennat ait connu sa retraite en rase campagne avec l’abus du 49-3, si peu à propos dans le contexte déjà éruptif d’un rejet massif par l’opinion publique d’une réforme inopportune et mal justifiée : urgence de rétablir les comptes, financement des services publics de la santé et de l’éducation, ou simple gage de sérieux fourni aux marchés financiers, comme vient de le concéder un Président aux abois, une succession de prétendues raisons d’agir ne suffit pas à faire cohérence, encore moins à convaincre.
Borne toujours alive ? Matignon humilié
La première victime – et il y en a malheureusement de nombreuses – de cette séquence politique et parlementaire chaotique est naturellement la Première ministre. Elle avait choisi le timing, la stratégie des concessions à la droite classique, on comptait sur son expérience du dialogue social, elle affirmait il y a quelques heures encore sa conviction de l’existence d’une majorité pour voter sa réforme : depuis jeudi 16 mars 15 h, dans le brouhaha de l’Assemblée, tout est un champ de ruines.
Très fragilisée, pièce sacrifiée sans état d’âme par le Président sur l’échiquier politique, peut-elle encore rester ? Et pour faire quoi ? Avec qui débattre et négocier désormais après s’être mise à dos jusqu’aux syndicats les plus réformistes, et avoir déçu une bonne part de sa propre majorité ? Mais pour l’exécutif, renvoyer la deuxième femme Première ministre dans les mêmes délais précoces que la première, Édith Cresson, il y a trente ans, aurait un effet désastreux.
Retaillée, discréditée, dévaluée : « Ciotti, j’ai rétréci la droite! »
Pour autant, ses concurrents au gouvernement, avides d’occuper son poste, auraient tort de se réjouir : Le Maire et Darmanin incarnent naturellement l’alliance avec une droite dont ils sont les brebis égarés, mais qui a perdu aujourd’hui toute crédibilité, incapable d’aider à faire adopter sa réforme totem depuis trente ans : l’ancien parti de gouvernement dominant de la République gaullienne n’est plus qu’un micro-parti, un canard sans tête, désormais sans boussole et sans programme, dont au surplus le chef martial récemment élu à grands coups de menton, Eric Ciotti, et son adversaire clérico-vendéen malheureux, Bruno Retailleau, ont été impuissants à faire partager, ailleurs qu’au Sénat, leur volonté, nargués par la fronde du troisième larron de la foire aux cancres, Aurélien Pradié, suivi par un nombre suffisant de parlementaires pour rendre le pari d’un vote à l’Assemblée trop risqué pour le pouvoir macroniste.
Pour un parti communiant sous les deux espèces de l’ordre et de la « valeur travail », c’est un comble. Si une politique de gribouille est bien le fait d’une personne qui se jette, par naïveté ou stupidité, dans les ennuis qu’elle voulait éviter, la droite la plus bête du monde est bien de retour, mais cette fois, le ridicule pourrait la tuer. Les démocrates n’ont pas à s’en réjouir.
L’état de disgrâce : fin de règne prématuré ou sursaut démocratique ?
Est-il besoin de tracer ici l’état de désillusion de la gauche, sortie du narcotique puissant d’un « génial guide », isolé dans son propre parti, qui aura réussi la prouesse de voir tous les syndicats, unis et réalisant un sans-faute, critiquer une obstruction législative contre-productive ?
Au total, le tableau est sombre, excepté pour la famille habituelle des vautours de l’antiparlementarisme, de l’illibéralisme, du « tous pourris » et du « essayez-nous, puisque tous les autres ont échoué ».
Sous notre République présidentialiste à bout de souffle, la responsabilité en incombe au Président, surtout quand il commet la faute d’oublier les conditions de son élection. Jacques Chirac l’avait payé du rejet à 55% du référendum sur le projet de Constitution européenne. Macron paye cash l’imposture – Gaston Monnerville parla en 1962 de « forfaiture » – d’avoir confondu le rejet majoritaire de la candidate RN avec un blanc-seing pour son propre programme.
Précisément, retisser le lien de confiance entre les Français et la politique sera un rude défi et prendra du temps. Avant de penser à réformer la Constitution, le retour aux sources référendaires du régime né en deux temps en 1958-1962 ne passerait-il pas une relégitimation démocratique : un référendum sur la réforme proposée ? Pour paraphraser Raymond Aron, si la censure du gouvernement reste improbable, et la dissolution impossible sauf à jouer nos libertés à la roulette russe, le Chef de l’État demeure le maître des horloges et du choix des modes de consultation du peuple.
Quoi qu’il lui en coûte.