“Le retour des hirondelles”, les trésors d’humanité de paysans très pauvres

Dans un film immense, qui a eu des problèmes avec la censure chinoise, Li Ruijun raconte une sublime histoire d’amour improbable dans une société paysanne actuelle mais très rustique. L’ampleur de la narration, la beauté des images et des deux personnages font de ce récit une œuvre magistrale et intense qui touche à l’essentiel.

Par Bernard Cassat

Ma (Wu Renlin), Cao (Hai Qing) et leur âne. Photo Qizi Films Limited

Li Ruijun, réalisateur, scénariste et monteur, est puissamment attaché à sa terre natale, la province du Gansu, une région proche de la Mongolie. Dans Le retour des hirondelles, l’histoire est finalement mince. Un paysan pauvre, très pauvre, est marié par la communauté villageoise à une femme battue au point qu’elle est handicapée. Par son patron, ou son beau-père, on ne sait pas trop. Les relations de groupe, hiérarchiques et politiques, des communautés rurales décrites sont difficiles à comprendre. Mais les deux personnages sont presque marginaux à cette société villageoise.

Lui, Ma, est plutôt primaire, mais très respectueux des bêtes et de la terre qu’il cultive avec peu de moyens. Elle, Cao, est détruite, incontinente et tellement repliée sur
elle-même par ce qu’elle a subi qu’elle en est difforme. Mais chacun observe l’autre.
« La première fois que je t’ai vu, tu caressais ton âne », lui dit-elle quand une relation entre eux est installée. Et lui ne la brusque pas, lui laisse du temps, lui prépare à manger et s’occupe d’elle comme il s’occupe de son âne. C’est sur ce respect mutuel que commence leur histoire, une histoire à la Dostoïevski de deux êtres tout en bas de la société, méprisés par tous, mais qui découvrent chez l’autre des trésors d’humanité.

Confidences dans une meule de foin. Photo Qizi Films Limited

Il se trouve que le « patron », celui qui violentait Cao, a besoin de transfusions sanguines, et que Ma est le seul du village à avoir le même groupe sanguin très rare. Il n’hésite pas. Même si on le traite, là aussi, en moins-que-rien, qu’on exploite son corps sans aucune compensation. Il refuse tous les cadeaux, les remboursant lorsqu’il a suffisamment d’argent. Pour ne rien devoir à personne.

La parole rare mais l’amour évident

Ce couple improbable, en se découvrant l’un l’autre, construit une vie paysanne au rythme de la nature. Des problèmes de maisons inoccupées que le gouvernement décide de démolir en rétribuant les propriétaires amènent à des excès. Ma et Cao sont obligés de déménager deux fois, puis de construire eux-mêmes leur maison. Les paroles sont rares, mais tous ces travaux les rapprochent énormément. Elle se déplie physiquement, rit parfois. Ma n’arrête pas de trimer mais ses attentions envers Cao sont touchantes. Il façonne lui-même les briques d’argile qui feront les murs de leur maison. Un terrible orage alors qu’elles ne sont pas encore sèches les pousse tout deux à essayer de les protéger. Trempés, sous un vent terrible, la tâche est impossible. Mais la force des éléments naturels leur fait vivre une rare excitation. Hilares, ils se roulent dans l’argile et la séquence très pudique devient une sublime scène d’amour. Tout comme ces marques de grains de blé qu’il fait sur son bras, dessinant une marguerite. Leur catleya à eux.

L’orage, la force des éléments, le bonheur de s’être trouvé. Photo Qizi Films Limited

Sorti sur les écrans chinois en juillet 2022, il est retiré des salles en septembre par la censure. Pourtant, en deux mois, il a eu un succès formidable. Repris par des plateformes, le succès continue, à tel point qu’il est totalement interdit et Li Ruijun assigné à résidence. Le seul fait que ce film mette en scène des personnages vivant dans un dénuement absolu contredit le message du PC chinois sur le bonheur. C’est dérisoire, mais radical. Sélectionné à la Berlinale de 2022, le film est projeté dans une version revue par la censure, avec une happy end plus en accord avec la propagande.

La version projetée en ce moment en France est la version originale. La fin, tragique pour Cao, est plus ambiguë pour Ma. Mais cette ode à la terre, au travail et au respect de toute vie est absolument merveilleuse. La lenteur, la répétition de scènes, le labeur du paysan, la beauté des extérieurs, le déroulement visible des saisons, du temps, font de cette œuvre une puissante histoire d’amour, bouleversante, primordiale.

 

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Commentaires

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  1. Pour ceux qui apprécient de visionner des vidéos à sens profond, les chefs d’oeuvres du studio Ghibli fondé par Hayao Miyazaki et Isao Takahata seront des régals, sans aucun équivalent en occident.
    Pelle mêle, Le Château dans le ciel, Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké, Le Royaume des chats, Ponyo sur la falaise, Le vent se lève, Le Château ambulant, Mon voisin Totoro, …
    Cerise sur le gâteau, Hayao Miyazaki a en plus fait des émules, à l’extérieur du studio, la nouvelle génération semblant prendre la relève, avec des petites pépites, comme “Your name”, autant époustouflant que bouleversant.

    âmes sensibles, ne pas s’abstenir 😉

  2. Dans la même veine, une autre pépite de 2019 découverte que très récemment : Les enfants du temps
    Bouleversant …

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