Gaël Lépingle : « Faire un film sur les jeunes homos, une fois pour toutes »

A l’occasion de la sortie de son film Des garçons de province, Magcentre a rencontré Gaël Lépingle. Réalisateur ayant passé son enfance à Orléans, il a déjà une belle liste de réalisations, documentaires ou fictions. Le même jour sort Seuls les pirates, un film tourné à Orléans avant le Covid mais seulement projeté (et remarqué) dans des festivals.

Par Bernard Cassat

Gaël Lépingle. Photo Geraldine Seguin

Des garçons de province est un film réalisé comme un recueil de nouvelles. « J’ai beaucoup lu Maupassant, entre autres, quand j’étais jeune. J’ai maintenant 50 ans, et je voulais faire un film sur des jeunes gays un peu perdus, comme j’ai pu l’être il y a longtemps. Faire ce film une fois pour toutes. Ils rêvent d’un ailleurs, de partir des petites villes et des paysages pesants qui forment leur milieu de vie. » De très belles images de campagne situent ces histoires dans l’Orléanais beauceron, accueillant l’été mais assez sinistre aux mauvais jours. « Je n’avais plus envie d’une histoire lourde, développée. Ce principe de moments qui permettent de croquer une situation, de synthétiser des émotions dans un temps ramassé, je voulais essayer ça au cinéma. » Il a même choisi de changer de format d’image en changeant d’histoire. « J’avais une sorte d’appétit de cinéma. Des envies formelles, de scope, de quatre tiers. La première histoire, tournée en scope, est largement inspirée de La maison Tellier, la nouvelle de Maupassant, dont Max Ophüls a d’ailleurs fait un film. Ici, ce ne sont pas des prostituées qui viennent à la campagne, mais une sorte de cabaret ambulant, avec des drags et des chanteuses. »

Pas de première communion dans le film, juste un spectacle de cabaret venant de la ville dans le bistrot de leurs hôtes, homos eux aussi, installés dans un village. Différence sociale, mais aussi d’attitude. Le personnage du chanteur Baby Sun, un peu méprisant avec les « ploucs » comme il dit, est assez désagréable. « Oui, il est infect mais ensuite, il s’excuse auprès de Youssef. Qui rêve complètement, se monte la tête pour trouver un moyen de partir. Et finalement, il va rester. L’attitude de Baby Sun dans le magasin est indéfendable. Il provoque une dame par ailleurs déplaisante elle-même, mais rien ne peut justifier de se comporter comme cela. »

Les artistes de cabaret arrivent à la campagne. Photo La traverse

Un adolescent malicieux et heureux de partir

La deuxième histoire se passe à La Chapelle St Mesmin. « C’est un adolescent coquin qui se promène dans les rues de La Chapelle à la fin de l’été. Il ne sait pas trop où il va aller l’année qui vient. Pour passer le temps, il met des chaussures de femme. Et finalement ça ne provoque pas vraiment de grosses réactions. Il sait qu’il va partir et cela lui convient. En revanche son copain-amoureux, qui va rester, se sent abandonné. » L’adolescent parcourt les rues de La Chapelle dans des travellings qui le suivent, cadrant ses jambes nues et ses chaussures de femmes, avec en fond le goudron et les marques au sol dans un travail d’images quasi-graphique.

Un jeu de séduction doux-amer

La troisième histoire développe une problématique autour du costume. « Un jeune homme, qui a sans doute répondu à une annonce sur les réseaux, arrive chez un homme plus âgé que lui, Mathieu, pour une séance photos. » Ce professeur d’espagnol, homo bien installé dans un village non loin de Montargis, « aime bien les photos de charme. Il pratique cela de manière très esthétique, avec tout le côté artistique du costume évoquant le théâtre, les rôles. Le jeune homme pense vraiment que c’est un plan rencontre. Et il est très déçu quand Mathieu ne répond pas à ses avances. Il y a tout un jeu entre jeune et vieux. Ce jeune homme, sans doute par ailleurs très seul, a besoin de séduire. Avec toute une conscience, une problématique du temps qui passe. Au cours de la nuit qu’il passe seul, il s’installe à la place de Mathieu, à son bureau, et efface toutes ses photos de son ordinateur. Il cherche à le blesser, à le salir. Il lui dit qu’il le dégoûte. Peut-être il se voit en Mathieu, se dit que c’est ce qu’il va devenir. Donc c’est aussi un dégoût de soi. »

Sur le tournage de Seuls les pirates. Photo Géraldine Sequin

La thématique du costume revient dans les trois histoires. « Les jeunes sont isolés. Ils ont besoin d’un imaginaire fort pour s’en sortir, pour construire une projection d’eux-mêmes.
Le costume est un bon moyen de devenir un autre. Parce que ce qui relie ces histoires, c’est vraiment une envie d’ailleurs. »
Pour trouver l’amour, sans doute, l’amour à en mourir comme on le rêve quand on est ado. Mais « l’amour, on n’en meurt plus », chante Mr K au cabaret ambulant. Qui vient de la ville, pourtant. Et qui donne le ton doux mais très amer du film de Gaël.

Des garçons de province

Séance en présence de Gaël Lépingle et de Michaël Dacheux, scénariste

mercredi 8 février, 19h30 au cinéma Les Carmes.

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