Mercredi soir, invité par la Scène nationale, Abdullah Miniawy, chanteur soufi, s’est entouré de trois jazzmen pour lancer ses complaintes profondes et bouleversantes. Seuls des musiciens rompus à l’improvisation et à la création pouvaient trouver un son de groupe puissant et l’énergie viscérale d’une musique mystique et pourtant entrainante. Concert magique fortement apprécié.
Par Bernard Cassat
Photos Marie-Line Bonneau
Médéric Collignon, trompettiste et boute-en-train. Photo Marie-Line Bonneau
De Médéric Collignon, on sait son humour, sa folie boute-en-train, son énergie débordante et son inventivité permanente, capable d’improviser sur n’importe quoi avec n’importe qui et d’emporter la mise. Ses facéties avec ses copains du Sacre du Tympan sont réputées et magnifiques. Il n’a pas déçu, mercredi soir. Son cornet à pistons sonnait haut, mais surtout ses bruits de bouche, de corps plutôt, rythmiques, amusants, incroyables de justesse et de précision pour une pratique totalement aléatoire, étaient l’antithèse du concert.
Une voix profonde
La thèse, Abdullah Miniawy s’en chargeait. Une voix profonde de mosquée qui invoque la religiosité, mais pas seulement. Dans Le dossier de l’oppression ou La maison d’argile, des poèmes qu’il a écrits pour les chanter, la sonorité de la langue arabe est magnifiée par sa diction, rejoignant les bruits de Médéric et leur donnant un poids de groupe, forgeant la base du son particulier. Mais surtout ses montées dans les gammes et la puissance de cette voix, gardant son grain religieux de douleur existentielle qui soudain arrive à l’expression, qui jaillit du plus profond d’on ne sait trop où, et peu importe. De loin. Un jaillissement qui nous conduit aux portes de l’illumination.
Abdullah Miniawy. Photo Marie-Line Bonneau
Surtout quand le saxo de Peter Corser soutient ces volutes, lance et accompagne ces montées vers les hauteurs de la musique. Ils sont du même bord. D’ailleurs ils ont composé ces morceaux ensemble. Le saxo a toujours été porteur dans le jazz d’une émotion très proche de celle de la voix. Voix et souffle ici travaillent franchement sur la même portée. Lui aussi part du grave, s’amuse des hachements de son vieux copain Médéric, double leur discontinuité par un souffle régulier et ce son continu pousse la voix à se dépasser. Là, ça y est, le groupe musical existe vraiment, dans sa propre puissance, sa propre énergie.
D’autant que Karsten Hochapfel au violoncelle, avec ce son de cordes qui fait toujours couler des larmes et dont les romantiques ont si bien tiré parti, rajoute une couche discrète mais indispensable. Et dialogue magnifiquement avec l’humour de Médéric.
Ce son de groupe une fois installé, on nage dans le plaisir. Eux aussi d’ailleurs. Ils se regardent, se sourient comme deux gamins qui vont se faire des croche-pieds. Surtout que les croches, Médéric connaît. Et se remercient quand l’échappée a été généreuse. Le public en redemandait, bien sûr. Et ils en ont redonné ! On aurait pu les écouter encore et encore.
On peut lire sur le site d’Abdullah Miniawy la traduction de ses poèmes.
Les photos de Marie-Line
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