La réalisatrice Baya Kasmi nous parle du film Youssef Salem

Lors d’une avant-première aux Carmes organisée avec l’Asla (Association Solidarité Loiret Algérie), Baya Kasmi est venue présenter son film Youssef Salem a du succès, dont elle est réalisatrice et scénariste, et discuter avec le public. Magcentre l’a rencontrée.

Propos recueillis par Bernard Cassat

Ramzi Bedia dans le rôle de Youssef Salem et son livre primé. Photo DOMINO FILMS/FRANCE 2 CINEMA

Magcentre : La première partie du film propose des images déroutantes jusqu’au moment ou l’on comprend de quoi il s’agit !

Baya Kasmi : C’est vraiment l’idée qui a débloqué le reste de l’écriture. Je voulais incarner le livre de Youssef. C’est un film sur l’écriture, d’où elle vient, et sur ce qu’elle peut provoquer dans une vie et dans une famille. J’avais envie de transformer le livre en film, qu’on sente le style, et ce que les autres avaient à lui reprocher. Sans cela, ça aurait été beaucoup moins fort. J’avais envie d’un récit tendu. On s’est dit avec Michel [Leclerc, coscénariste et compagnon dans la vie], il faut vraiment raconter le début comme un statut d’enfance, avec voix off, pour qu’au bout de plusieurs minutes, on se rende compte qu’on est dans le livre. Ce début met mal à l’aise, et ça rejaillit sur tout le reste et génère un jeu ludique. On est obligé de travailler, de se dire est-ce que c’est vrai, est-ce que c’est faux, où est-ce qu’il a cherché son inspiration, qui est qui ?

Youssef et sa sœur, une militante enthousiaste, jouée par Melha Bedia sœur de Ramzi dans la vie. Photo DOMINO FILMS/FRANCE 2 CINEMA

Il y a la thématique des Arabes, l’idée que c’est un personnage arabe qui se moque des Arabes…

BK : Oui. Il parle de sa famille et il ne cache pas que c’est une famille arabe ou maghrébine… Quand on se moque d’un Arabe, c’est comme si on se moquait de tous les Arabes. En France, il y a une telle tension autour de la représentation des minorités… Si un auteur français parle de sa famille, on se dit « quelle famille en crise ! ». Mais si la famille est d’origine africaine, et surtout des anciennes colonies françaises, là, ça se tend. Il y a tout le racisme derrière et toute la tension de ceux qui ne sont pas souvent représentés. Je voulais regarder la notion de communauté. Elle existe sociologiquement, mais en fait, c’est une somme d’individus disparates comme on peut en retrouver dans une famille. Je crois qu’on est tous des individus.

Les parents de Youssef. Photo DOMINO FILMS/FRANCE 2 CINEMA

Oui, le père par exemple est vraiment particulier, fin linguiste, maniaque de la correction de la langue, fan d’Alain Rey. Dans la partie livre, il est déguisé en femme. Pourquoi ?

BK : J’avais envie de laisser des éléments non expliqués. Le spectateur cherche ce qui est vrai et ce qui est faux, réflexe qu’on a tous quand on lit une œuvre plus ou moins autobiographique. Alors que j’ai envie, aussi, de défendre la question de ce que ça raconte sur les personnages. Youssef veut briser les tabous, mettre les pieds dans le plat. Il explique lui-même qu’il ne peut écrire que quand il y a du sale, des choses cachées, de la honte. Il va chercher tout ce qui pourrait fâcher, et il l’écrit. En même temps, ça ne correspond pas du tout au père décrit dans la vraie vie. Quand on écrit, la vie réelle devient un matériel d’écriture plus important que la vérité. C’est comme une pâte à modeler. J’avais envie aussi de transmettre ce plaisir de l’écriture, plaisir qui est aussi une malédiction. Parce que des fois, on a envie d’arrêter.

Comme Youssef qui n’assume plus son livre ?

BK : Il assume quand il écrit seul, face à sa page. Mais après, il n’assume plus du tout quand c’est lu.

Le personnage de Rachid, pourtant hors famille, se retrouve complètement dans l’histoire racontée par le livre ?

BK : Oui. Quand on écrit sur soi en essayant d’être sincère, même si on en invente la moitié, on touche tout le monde. Plein de gens peuvent se reconnaître. Et c’est ça la beauté de l’écriture. C’est même pour ça qu’on lit des livres. Rachid, quand il lit ce livre, est sincèrement persuadé que ça parle de sa vie, qu’il était comme ça. Et puis j’avais envie d’introduire un alter ego de Youssef ayant très envie de réussir, de devenir un Arabe célèbre.

L’ivresse du Goncourt. Youssef et son agent littéraire, Noémie Lvovsky.  Photo DOMINO FILMS/FRANCE 2 CINEMA

La fameuse phrase de Philippe Roth, un écrivain fiche en l’air sa famille, est-ce que c’est vrai pour une scénariste ?

BK : (Rires) Je crois que j’ai de la chance. Ma famille, comme celle de Michel, peut aller voir le film en se disant que c’est un hommage. Une sorte de tendresse faite à la famille. Non, ma famille a vu et aime bien le film.

La fin ? Le carnet qui lui revient ?

BK : Youssef n’a pas vraiment le choix. Image poétique que j’avais des difficultés à placer, parce que c’est surréaliste, c’est magique. Une fois qu’on s’est mis dans cet état d’esprit de regarder le monde et d’en tirer quelque chose, c’est comme une malédiction, une drogue, une manière de vivre. On ne peut pas faire autrement. Et puis l’écriture souvent, c’est elle qui vous choisit. On voit bien que Youssef est le réceptacle d’une histoire familiale, du désir de son père, aussi. Et la vie l’a choisi pour être celui qui écrit et qui transforme ça. Malgré tous les déboires, on comprend qu’il va devoir continuer…

 

Youssef Salem a du succès

Réalisation Baya Kasmi

Scénario Baya Kasmi, Michel Leclerc

Interprétation  Ramzi Bedia, Noémie Lvovsky, Abbes Zahmani, Lyes Salem, Melha Bedia, Oussama Kheddam

Sortie mercredi 18 janvier

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