Depuis le sept décembre, la classe politique tourangelle bruisse de rumeurs au sujet du départ de la Préfète d’Indre-et-Loire, Mme Marie Lajus, arrivée il y a un peu plus de deux ans à Tours. Drôle de séquence qui provoque pas mal de remous, la presse, hormis la Nouvelle République, ayant relevé le caractère choquant de ce départ précipité. La sénatrice de Charentes Nicole Bonnefoy a pris ouvertement la défense de Mme Lajus en demandant des explications à M. Darmanin, suivie localement par M. Franck Gagnaire, secrétaire du PS37. Une pétition en ligne était également déposée par une association d’éducation populaire en soutien envers la Préfète qui avait laissé de bons souvenirs lors de ses précédents postes, notamment en assumant un légalisme et une portée sociale pour son action de représentante de l’État.
Difficile d’avoir une idée précise sur les véritables raisons du départ de Mme Lajus, tant les informations en off circulent, mais en tout cas le Canard Enchaîné aura eu le mérite de mettre la lumière sur le projet en cours au château Louise de la Vallière sis à Reugny.
Chapitre 1
Tout commence par un coup de foudre
Le conte de fées commence en 2018, lorsque Mira Grebenstein visite le Château Louise de la Vallière, en vente pour 1,5 millions d’euros, et dont elle dit de suite à son mari « ne cherchons plus, pas besoin de visiter les intérieurs, c’est lui que je veux (…) cette maison m’a choisie. Dès que je l’ai vue, j’ai su que j’allais y donner tout mon cœur, ma passion, que j’allais faire en sorte que ce lieu retrouve sa majesté et ses lettres de noblesse ». Après un tel coup de cœur couvert par la NR, tout va très vite et le couple acquiert donc le château de 941m² de surface avec ses plus de quarante pièces et son domaine de 19 ha qui comprend de nombreux arbres remarquables, des jardins à la française, une piscine, une orangerie et quelques autres menus plaisirs.
L’année suivante, Mira Grebenstein annonce qu’elle va y créer un hôtel de luxe – « le rêve ,d’une vie » -, elle qui « est diplômée des plus grandes écoles de management hôtelier de Suisse », une référence. Et à l’automne 2022, le 25 octobre, le grand jour de l’inauguration arrive enfin après quatre harassantes années et plus de 13 millions d’euros dépensés, où chaque matin, Mme Grebenstein « est là à 9 h pour le briefing avec les artisans, tailleurs de pierre, charpentiers, couvreurs, électriciens, menuisiers (…) et l’après-midi, elle court les antiquaires, les salles de vente, elle achète absolument tout, les meubles, les tableaux, les bibelots, la vaisselle, chaque lampe a déjà sa place dans son esprit ».
Quelle soirée les amis !
Tout le monde est là pour la soirée d’ouverture, même la presse mondaine parisienne par l’intermédiaire du média Say Who qui publie les photos de la formidable réception. [lien supprimé] On y retrouve François Sarkozy, le frère de, médecin passé par l’industrie pharmaceutique et Aventis pour finir dans le consulting, notamment chez Publicis. Il y a Jean-Pascal Hesse, directeur de la communication de Pierre Cardin et élu Les Républicains à Paris, Frédéric Bouilleux, directeur général adjoint du Château de Chambord, Yves Mirande, consultant en communication et spécialiste du design, notamment dans la presse spécialisée. N’oublions pas Fabien Vallérian, directeur des arts et de la culture chez Ruinart, la célèbre maison de champagne, Amin Jaffer, directeur international du département des arts asiatiques chez Christie’s et Marie-Christine Clément, spécialiste en gastronomie et membre du Conseil d’Administration (CA) de Relais et Châteaux qui répertorie les demeures de charme et la grande restauration et édite un guide annuel. Côté artistes, on compte bien entendu avec le décorateur italien Nicola Pelucchi et surtout le cultissime Jacques Garcia, le « roi des décorateurs ».
La fondation Mansart et le château-business
Jacques Garcia, visiblement très réputé et influent, est par ailleurs membre du CA de la Fondation Mansart, une association qui entend « préserver et faire vivre des patrimoines de grand intérêt, qu’ils soient historiques ou contemporains : sites naturels et paysagers, sites historiques ou architecturaux, collections et musées ». Bien entendu, « la première volonté de la fondation est de préserver le patrimoine de façon durable afin de transmettre aux générations futures des biens de qualité et conservés dans leur intégrité ». Sont justement invités à la soirée Alexis Robin, Directeur Général de la Fondation Mansart, mais aussi collaborateur du sénateur LR d’Eure-et-Loir Albéric de Montgolfier. M. Robin est également adjoint au maire LR de Maintenon, en charge du patrimoine. Il y a aussi Audrey de Montgolfier, la fille de monsieur le sénateur. Elle travaille à la fondation et écrit des romans afin de faire vivre un peu plus la mémoire des vieux châteaux oubliés comme ceux de Bagatelle et de Maintenon. Notons d’ailleurs que depuis 2019 le président de la fondation Mansart n’est autre qu’Albéric de Montgolfier lui-même qui, en tant que châtelain dans le sud de la France, est depuis longtemps sensibilisé aux difficultés rencontrées par les amoureux du patrimoine.
La présence en force d’autant de membres de la fondation Mansart n’est pas un hasard, c’est toute une conception de la sauvegarde du patrimoine qui est ainsi mise en avant. En 1983, les propriétaires du Château de Maintenon en Eure-et-Loir lèguent le bâtiment et les terrains à une associations qu’ils créent et qui deviendra la fondation Mansart. Cette dernière cède en 2005 au Conseil Départemental d’Eure-et-Loir (CD28) la gestion, l’entretien, l’exploitation et l’animation du Château. A l’époque, le président du CD28 est… Albéric de Montgolfier. A noter qu’un terrain de golf a été crée en 1988 dans une partie du parc de la propriété, revendu depuis 2019 à un investisseur chinois. Parallèlement, à partir de 2012, un projet d’hôtel quatre étoiles voit le jour dans une autre partie du parc, immédiatement accolée au château et tout proche du terrain de golf. C’est Jean-Marc de Margerie, passé par un école suisse d’hôtellerie, issu du groupe Taittinger et ancien gestionnaire de palaces parisiens, qui investit dans ce projet ambitieux qui mettra quelques années à se réaliser et fera couler pas mal d’encre, notamment à cause du recours à une boîte bulgare pour comprimer les dépenses du chantier, boîte indélicate qui n’honorait ni salaires ni locations de logement pour les ouvriers. Notons aussi que la rénovation des écuries du château qui sont intégrées en partie au projet hôtelier avait suscité l’émotion de l’architecte des bâtiments de France, mais bon, tout était rentrée dans l’ordre rapidement. Retenez bien ce schéma de fonctionnement mêlant conservation du patrimoine avec le soutien de la puissance publique et la diversification du business autour du château, cette fois par des acteurs du privé, c’est important pour la suite…