Le musée des Beaux-Arts d’Orléans proposait ce jeudi 1er décembre une visite guidée sur la représentation du corps des femmes dans la peinture. Une belle balade érudite à travers les salles du musée au fil des siècles qui s’est achevée en… chansons.
Par Sophie Deschamps
Visite-concert insolite ce jeudi 1er décembre au Musée des Beaux-Arts d’Orléans avec le concours de l’Astrolabe et la Scène nationale sur le thème « Femmes-sujets, femmes-objets ». C’est Chloé Bruneau, médiatrice culturelle du musée qui a ouvert la soirée avec une déambulation dans les étages à la recherche des tableaux représentant des femmes avec cette question : « Que nous disent les corps des femmes du regard des hommes qui les ont peints ? »
Premier arrêt devant la toile Charité romaine datant du premier quart du XVIIe siècle. Peinte par un artiste italien inconnu, elle montre une femme donnant le sein à un vieil homme. Agression sexuelle ? Scène de prostitution ? Pas du tout. Il s’agit en fait de l’histoire de Péro nourrissant en cachette son père emprisonné afin qu’il ne meure pas de faim alors qu’il a été condamné à mort “par famine” pour avoir volé un pain.
Chloé Bruneau décrypte : « Grâce au cadrage choisi par l’artiste, on est tellement prêt de cette scène intime que c’est très dérangeant. De plus, le corps féminin est très masculin avec des muscles extrêmement exacerbés mais le sein gonflé est toutefois montré au premier plan, en pleine lumière. Et nous spectateurs sommes jetés au cœur de la scène parce que cette femme nous regarde.. Donc c’est un tableau qui dérange encore plus de trois siècles après sa création. »
Judith, femme fatale pour la bonne cause
De la piété filiale on passe ensuite à la femme fatale avec le tableau du peintre flamand Gerard Seghers peint vers 1625-1630, Judith brandissant la tête d’Holopherne. Cette belle juive libère sa ville du joug de l’armée des Assyriens menée par le général Holopherne. Se faisant passer pour une espionne, Judith séduit Holopherne, l’enivre au cours d’un festin puis le décapite avec son épée.
Pour Chloé Bruneau « l’artiste a choisi de montrer l’histoire après la décapitation, ce qui lui permet de mettre Judith au centre du tableau et en pleine lumière. Elle est mise en scène avec toute sa détermination, l’épée encore à la main, renforcée par le jeu des drapés qui volent. Il y a aussi le contraste avec la vieille servante qui renforce la beauté de Judith. Judith qui est peut-être l’une des seules femmes fatales de l’Ancien Testament à avoir eu un rôle positif dans l’Histoire. Contrairement à Salomé qui en dansant obtient la tête de saint Jean-Baptiste. Elle est une sorte de miroir sombre de Judith.
Ça nous montre la manière dont cette question de la beauté féminine et de son pouvoir de manipulation a été à la fois déclinée dans la Bible mais aussi par les artistes. Car évidemment le pouvoir séducteur d’une beauté qui corrompt est toujours plus intéressante pour un artiste qu’une beauté idéale qui n’envoie personne en enfer. Il ne faut pas oublier que la femme la plus représentée au XVIIe siècle en peinture, c’est la Vierge Marie. Donc les artistes sont en quête d’autres modèles et d’autres histoires à raconter avec des personnages féminins. »
Le regard des peintresses
La balade se poursuit au premier étage du musée où l’on retrouve tout d’abord la toile d’une peintresse comme l’on appelait les femmes peintres dès le XIIIe siècle. Il s’agit d’un Autoportrait de Marie-Victoire Lemoine (1754-1820) appelé aussi Allégorie de la peinture. Malgré les nombreux obstacles qui empêchaient ces femmes d’exercer leur art, certaines ont persévéré comme Marie-Victoire Lemoine qui avait tout de même l’avantage d’être issue d’une famille d’artistes de génération en génération.
« Cet autoportrait est en fait la carte de visite de l’artiste explique Chloé Bruneau car il lui permet de montrer sa maîtrise des techniques picturales. Mais elle se soumet aux canons classiques de la beauté de l’époque, ajoutant malicieusement : il y a peu de chance que Marie-Victoire Lemoine ressemble au visage peint sur la toile.»
Tableaux de deux peintresses : Autoportrait de Marie-Victoire Lemoine, et Portrait de Marie-Sylphide Calès, née Chardou par Julie Philipault. Musée des Beaux-Arts Orléans. Photos SD
Autre tableau que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de féministe, celui peint par Julie Philipault (1780-1834) Portrait de Marie-Sylphide Calès, née Chardou : « Ce qui est très intéressant ici explique Chloé Bruneau c’est qu’elle met en scène Madame Calès pas du tout comme on le fait à cette époque pour les femmes. Elles sont avant tout là pour être présentées aux regards. Là, elle fait de la botanique. Elle est habillée assez sobrement et représentée telle qu’elle est c’est-à-dire avec un léger embonpoint et donc on entre dans l’intimité du modèle.»
Peindre le nu féminin
Cette promenade artistique s’achève dans la grande salle rouge du musée qui rassemble les collections du XIXe siècle avec la question de comment peindre des femmes nues sans essuyer les foudres de la censure et/ou du public. Les peintres ont alors plusieurs “astuces” à leur disposition pour “désexualiser” le nu : représenter des déesses ou des héroïnes de la mythologie : « Un autre moyen indique Chloé Bruneau est d’effacer tout ce qui peut paraître réaliste dans un nu féminin. Vous en avez un bon exemple avec la toile Après le bain d’Alexandre Antigna (1817-1878) où les corps représentés sont parfaits, sans poils ni cellulite.»
Alexandre Antigna Après le bain 1849. MBA Orléans. Photo SD
Chloé Bruneau poursuit : « C’est un tableau qui a un énorme succès à Paris mais qui choque tout le monde à Orléans parce qu’il n’y a pas dans cette ville la même culture des visites des expositions qu’à Paris. On est aussi beaucoup plus croyants à Orléans au milieu du XIXe siècle. À tel point que le tableau est dans un premier temps censuré avec le rajout d’un espèce de paréo sur le pubis de la femme allongée, puis il est exposé dans une salle à laquelle on a accès que sur rendez-vous et ça va durer comme ça pendant trente ans ! »
Anouck Hilbey, Axel Nadeau, mini concert MBA Orléans. Photo SD
Surprise en fin de visite avec un mini concert d’Anouk Hilbey et d’Axel Nadeau avec des chansons parlant de femmes bien sûr, notamment celle qui donne son titre à leur cabaret Les Femmes ça fait PD ? , clin d’oeil à la chanson de Serge Gainsbourg écrite pour Régine en 1978.
Scène Nationale d’Orléans. Théâtre
Mercredi 7 décembre 2022, 14h30
Jeudi 8 décembre 2022, 20h30
Salle Vitez, 20 euros
Magcentre Autrement : Acquisition du tableau d’Adélaïde Labille Guiard : la démarche engagée du Musée des Beaux Arts d’Orléans