En 2014, Mohamed Jondia quittait Alep, bombardée. Huit ans plus tard, il est installé à Montargis où il vient d’ouvrir Château d’Alep, son restaurant et salon de thé de spécialités syriennes. Retour sur ce parcours parsemé de terribles épreuves, en quête de la paix retrouvée.
En 2014, alors que sa ville d’Alep était sous les bombes depuis déjà deux ans, la mère de Mohamed lui a demandé de partir. Il avait déjà dû abandonner son rêve de devenir avocat ; il avait exercé un an en tant que policier (débutant, non armé, employé aux tâches administratives, notamment pour ceux qui perdaient leurs papiers). Au moment du « Printemps arabe », il a refusé de prendre parti pour un camp comme pour l’autre, tout aussi corrompus à ses yeux. Dans un pays à la géopolitique complexe, où rien n’est tout noir ni tout blanc, son quotidien – comme celui de sa famille – était devenu impossible, avec aucun autre choix que de partir pour échapper à la nasse ou bien mourir, tout en risquant d’entraîner la mort des siens.
Les épreuves de la prison et de la torture sur le chemin de la paix
« C’est la guerre qui m’a amené ici, je pensais ne jamais quitter Alep ». Dans sa famille, Mohamed est le tout premier à avoir quitté la Syrie. Jamais il ne l’aurait imaginé. Mais la vie est tortueuse, elle n’épargne à personne ses méandres, d’autant plus quand on vit dans un pays en guerre, qui ne laisse pas de choix et vous trimballe à son gré. Dans son petit restaurant, qu’il vient d’ouvrir à Montargis, la conversation se passe autour d’un thé à la cardamome. Mohamed nous livre le récit de sa vie, un récit ponctué de longs silences au cours desquels les yeux se fixent intérieurement sur une image du passé.
« Je n’ai pas besoin d’aller au cinéma, ma vie est un film ». Le fait est qu’on pourrait dire qu’elle fut pleine de rebondissements si les prisons (notamment celles d’un groupe proche de Daech) ainsi que les tortures n’avaient été sa terrifiante réalité. Tant d’épreuves auraient pu le laisser brisé, mais en l’écoutant, on se dit que cet homme en sort avec un surcroît d’humanité, qui lui donne la capacité d’instaurer une relation et de converser avec les SDF ainsi qu’avec ceux que la raison a quitté, mais aussi de continuer à proposer son aide comme traducteur pour l’association Mille Sourires qui, à Montargis, a fait partie de ceux qui l’ont accompagné.
Un félin comme meilleur ami
Dans ce parcours, il y a eu un petit miracle, une petite boule de poils recueillie encore bébé, à laquelle son destin s’est trouvé lié : « Ce n’est pas moi qui aie trouvé mon chat, c’est lui qui m’a trouvé ». Et de raconter comment il était reparti à vélo, sous la pluie, avec ce chaton dans les bras, chaton dont il lisait l’amour dans les yeux, « cet amour dont tous les deux nous avions manqué ». Mohamed vient d’un pays où on ne vit pas avec les animaux dans la maison, mais lui, il les aime. Avec son chat (devenu grand) perché sur l’épaule, on l’a vu danser à la fête du quartier de la Chaussée et raconter son histoire (avec un second degré désarmant) sur la scène du théâtre du Tivoli et à la médiathèque de Montargis ainsi qu’au Hangar de Châlette, sur une mise en scène de Serge Catanèse. Mais au foyer, les animaux sont interdits et la plupart des autres migrants ne voyaient pas cet animal d’un bon œil : Mohamed s’est résolu à le placer chez des amis où l’animal vit désormais en sécurité.
« A Montargis, j’ai trouvé la paix. En Syrie, il y a le soleil, mais on vit au jour le jour : on ne sait pas si le lendemain on sera encore en vie. Ici, je suis tous les jours vivant. J’ai rencontré de belles personnes, des gens gentils. Je n’ai pas de famille en France, alors chaque personne qui m’a aidée, je la considère comme faisant partie de ma famille. Je garde le contact avec Ghislaine (Beaudet, ex-maire de Pierrefitte-lès-Bois, qui l’a accueilli en 2016 alors qu’il arrivait de Calais, NDLR) et les bénévoles qui, à Pierrefitte, m’ont aidé ». Et d’énoncer chacun de ceux, à Pierrefitte, comme à Châlette et Montargis, qui lui ont apporté soutien et amitié.
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