Dossier violences faites aux femmes. Tribune : Pourquoi tant de violences ?

Par Monique Lemoine, présidente de Mix-Cité 45 et du Planning Familial 45

Monique Lemoine, présidente de Mix-Cité 45 et du Planning Familial 45. Photo Sophie Deschamps

Pourquoi Catherine et Yves sont toujours persuadé.e. qu’il est inné que les petits garçons ne se comportent pas de la même façon que les petites filles ?

Pourtant les garçons, tout comme les filles, sont éduqué.e.s, instruit.e.s par l’école de la République, informé.e.s par les voies diverses et variées des réseaux.

Alors, dites-moi pourquoi les féminicides en France restent un fléau actuel que tout le monde accepte comme un évènement inévitable ? Ces femmes tuées, violées harcelées ont dû faire quelque chose qu’il ne fallait pas faire : ne pas tenir correctement la maisonnée, ne pas bien servir son compagnon, ne pas s’habiller comme il faut, ne pas rester tranquille à la maison, décider de le quitter… Mais lorsque ce sont les hommes qui ne font pas toutes ces choses, pourquoi ne sont-ils pas assassinés par leurs compagnes ? Il existe un vrai problème. Et le problème ce ne sont pas les femmes. C’est nous qui avons un problème vis à vis des femmes.

Naître femme en France est déjà un handicap sur la ligne de départ de l’égalité. Rien ni personne ne peut le contester.

Nous ne pouvons pas continuer à construire notre société qui pourtant inscrit dans l’article 1 de sa Constitution un principe d’égalité entre les femmes et les hommes : La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. Un tel écart entre le droit et les faits réels est intolérable.

Faut-il encore admettre qu’en France une femme meure sous les coups de son homme tous les trois jours ? Faut-il continuer à croire que le gouvernement met tout en œuvre pour que cela devienne la grande cause nationale ? Faut-il accepter que les mesures prises soient uniquement tournées vers le traitement des victimes encore vivantes ? Pour toutes les mortes, pas de monument aux mortes, pas de plaques sur les murs, pas de commémoration. Quand y aura-t-il un armistice de cette tuerie qui se renouvelle sans cesse et quotidiennement ?

Ma colère comme celle de nombreuses personnes explose ; comment faire pour arrêter ce fléau entretenu dans notre société toujours patriarcale ?

Les associations de défense des droits des femmes agissent depuis trop longtemps : nous sommes épuisé.e.s de répéter les mêmes actions qu’au temps des suffragettes qui exigeaient le droit de vote des femmes et les mêmes droits. Ces droits sont dans les lois. Alors je sais que tant qu’il n’y aura pas une éducation à l’égalité enclenchée par toutes les instances de la République, les tueries continueront. D’autres modèles existent pour les garçons que ceux de devenir violeurs, batteurs, tortionnaires ou  tueurs de leur compagne.

Je peux faire semblant de rire pour ne pas pleurer de ce fléau en lisant l’étude nationale 2021 du Ministère de l’Intérieur sur les morts violentes au sein du couple : 

210.000 femmes subissent chaque année les violences conjugales 

143 femmes assassinées en 2021 par leur conjoint, soit 18 victimes de plus que l’année précédente. L’utilisation d’une arme est majoritaire quand le passage à l’acte vient d’une séparation non acceptée. Les victimes trentenaires sont tuées majoritairement lors d’une séparation par leur compagnon âgés entre 30 et 49 ans.

 Les femmes de plus de 70 ans sont tuées car estimées trop vieilles par les compagnons criminels.

 Les auteurs sont français, n’exercent pas ou plus d’activité professionnelle. La consommation d’alcool n’est pas majoritaire chez les auteurs, contrairement à ce que l’on pourrait croire. N’oublions pas que les enfants sont les premiers concernés et touchés par l’assassinat de leur mère en étant victimes eux-mêmes ou témoins ou orphelins de l’un ou des deux parents après le passage à l’acte.

Le Grenelle de lutte contre les violences conjugales de 2019 préconise 5 catégories de mesures toutes envers les victimes :

1-Améliorer l’accueil dans les services de police.

2-Mieux évaluer le danger encouru par la victime.

3-Renforcer l’expertise de la police.

4-Développer les partenariats avec l’hôpital.

5-Mieux accompagner les victimes (si elles sont vivantes ! ).

Je ne dis pas que ces mesures ne sont pas nécessaires, elles sont respectables, mais en quoi luttent-elles contre les violences envers les femmes ? Elles constatent la tuerie, mettent en œuvre son dispositif de protection des victimes qui traitent les conséquences mais pas les causes.

C’est en agissant sur les causes que nous commencerons à voir baisser les mortes sous les coups de leurs compagnons.

Alors, notre France est-elle en mort cérébrale face aux relations femmes/hommes ?

Changer, c’est maintenant. Les jeunes le demandent, écoutons-les. Elles et ils veulent vivre avec un corps sans étiquette et surtout un sexe qui ne détermine pas leur rôle dans la société. Une femme peut jouer au rugby, un homme peut aimer tricoter. Femmes scientifiques, politiques, plombières, vous êtes nos modèles. Un métier, quel qu’il soit demande des compétences et non pas un phallus ou un clitoris.

En 1897, Jeanne Chauvin est recalée à la Cour d’appel de Paris lorsqu’elle s’apprête à prêter serment pour devenir avocate. Elle s’est battue pour faire changer la loi de 1900 qui autorise les femmes à plaider : les mœurs de l’époque le lui interdisaient. Elle prêtera serment en 1907 et exerçera toute sa vie le métier d’avocate.

Il faut que tout arrive. Mais pour cela, il y a énormément de travail. Si l’État ne le fait pas, l’État sera mis en cause, voire abandonné. Les jeunes ne votent pas ! Pourquoi ? Nous avons besoin d’un État pour organiser les structures administratives et concrétiser le contrat social. Nous devons exiger cela de l’État.

Une politique publique de lutte contre les violences doit s’attaquer à l’origine des violences. Mon sentiment est très précis : ce sont les stéréotypes sexistes qui génèrent les violences envers tout ce qui ne respecte pas la norme dominante des rôles attribués aux hommes et aux femmes. En un mot : le patriarcat. On retrouve prioritairement les violences envers les femmes, mais aussi envers les lesbiennes et homosexuels, envers la couleur de peau, envers les personnes handicapées. Les rôles attribués selon le sexe doivent être montrés comme toxiques et faux. Ils sont la source de tous nos maux. Mais en convenir entraîne la question suivante : par quoi remplacer ces mythes ancestraux qu’un homme est le modèle qu’il faut atteindre ?

Mon rêve d’une politique publique de l’éducation à l’égalité des femmes et des hommes doit se concrétiser. C’est un grand chantier qui doit débuter à l’école et se poursuivre au collège et au lycée. Les enfants sont très vite sensibles à ces questionnements des rôles dans la vie. Ils ne sont pas comme les adultes entêtés sur ce que doit être un garçon et une fille. Le fait que les femmes soient les seules à faire des enfants ne doit pas déterminer leur situation dans la société sur ce rôle unique de reproductrices. C’est le pire ennemi de l’égalité. Les femmes ne font pas d’enfants toutes seules. Faire un enfant c’est à deux, l’élever c’est à deux, partager les tâches domestiques c’est à deux ! Nous mettons le doigt sur une plaie sensible de notre contrat social. L’amour dans le couple permet tellement de dysfonctionnements acceptés ou contraints ! La charge mentale repose essentiellement sur une majorité de femmes. Alors l’éducation doit permettre aux filles et aux garçons d’accepter ce partage équitable des tâches. De cette répartition partagée des tâches découlera une véritable égalité au niveau professionnel, au niveau relationnel, au niveau de la retraite.

C’est bientôt Noël : quels jouets allez-vous offrir aux enfants ? Les poupées, les chariots ménages, les coffrets maquillage pour les filles ? les jeux de découverte, de plein air et des camions de pompiers pour les garçons. ? Non ! C’est là que tout commence ! Les habitudes de jeux que nous proposons aux enfants vont déterminer leurs goûts et envies pour l’avenir. Offrez-leur des jouets non sexués. Ouvrez-leur les jeux de la vie sans détermination. Ils sauront s’autodéterminer.

Nous ne sommes plus des enfants, alors comment changer le regard social ? Il est nécessaire de sensibiliser les adultes. Les faire réfléchir sur d’autres modèles possibles. L’actualité nous aide à penser : les prêtres auréolés d’un rôle sacré, les magistrat.e.s  orienté.e.s par les lois doivent pouvoir changer leur regard envers la réalité. Il est horrible d’entendre plaider l’avocat de la défense, Ladislav Wedychowski, défendant devant le tribunal correctionnel d’Orléans, un homme accusé de viol le 17 novembre 2022 en s’appuyant sur une théorie psychanalytique souvent utilisée : un « non » de la victime pouvant dire un « oui ». On le sait, sans oui, c’est interdit.

Alors faisons jaillir les étincelles de la vérité. On se dit que tout peut changer, que tout peut advenir, mais encore faut-il que chacune et chacun veuille que cela change.

Commentaires

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  1. Pour compléter sur les racines de cette violence d’hommes (et non des hommes) envers des femmes on peut citer : Paul – Première lettre aux corinthiens 11 dont le titre est” L’homme et la femme devant le Seigneur.”…3/ Je veux pourtant que vous sachiez ceci : le chef de tout homme c’est le Christ, LE CHEF DE LA FEMME C’EST L’HOMME,le chef du Christ c’est Dieu. … 7/ L’homme,lui, ne doit pas se voiler la tête, il est l’image et la gloire de Dieu (ce qui glorifie Dieu), mais la femme est la gloire de l’homme. … 9/ Et l’homme n’a pas été créé pour la femme mais la femme pour l’homme. … 16/ Et si quelqu’un vient à contester, nous n’avons pas cette habitude et les Eglises de Dieu non plus.”
    Ce texte est encore en vigueur pour les sermons et de toute façon a fait partie de ce qui a été enseigné pendant des siècles aux femmes et aux hommes en occident chrétien et justifiait toutes les atrocités commises envers des femmes puisqu’elles avaient pour chef l’homme.
    L’église catholique apostolique et romaine ferait une très bonne action si elle se séparait de cette doctrine en en expliquant l’aspect misogyne et en expliquant autrement que par l’Eve fautive et coupable le texte métaphorique du début de l’ancien testament : Au jardin d’Eden.

    • F.Tarche,
      Merci de ce rappel évangélique. Vous avez parfaitement raison. Nous avons toutes et tous lu ou entendu ce genre d’histoire de domination.
      Mais aujourd’hui qui peut convaincre le pape François que ce qu’il préconise est un crime contre l’humanité.
      Il interdit l’avortement, il interdit de baiser sans procréation, il interdit la contraception, il est pour l’hétérosexualité, il interdit aux prêtres de se marier, il leur confère un statut sacré, il interdit aux femmes d’être des officiantes, il n’interdit pas que les abus sexuels se pratiquent sous le sacerdoce.

      Si vous avez son 06, je veux bien lui écrire.

      Merci de votre intervention. Nous réussirons bien un jour à démontrer que les religions qui n’ont plus accès au politique ne s’occupent plus aujourd’hui que de sexe et de dominer les femmes en les enfermant dans des voiles de tous genres ou des interdictions d’éducation et de profession. Le chemin est rude et rocailleux, mais il faut l’emprunter pour essayer d’ouvrir les yeux ! Les iraniennes et les iraniens semblent sur cette voie. Courage nous vaincrons. Mais il faut y croire ! Monique

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