Enfant du confinement, la pièce “Je reviendrai me chercher” offerte ce vendredi 28 octobre au théâtre Clin d’oeil mérite un bel avenir. Mise en scène et superbement interprétée par son auteure, la comédienne orléanaise Ana Elle, elle offre un “seule en scène” intensément séduisant qui ne peut laisser indifférent.
Par Jean-Luc Bouland
« Mes désirs, mes guerres, seront alors exposés aux yeux de tous ». En page 14 de l’ouvrage paru début 2022 aux éditions L’Harmattan*, cette phrase peu anodine sonne comme une annonce, ou une profession de foi. Issue du monologue “Je reviendrai me chercher“, elle constitue le point de départ d’une folle épopée intérieure par son auteure, Ana Elle, pendant le confinement. “Je n’ai pu supporter cet isolement. Je l’ai écrite en une semaine, sans m’arrêter“, explique la comédienne-auteure-professeur, et plus encore, diplômée voilà 10 ans du Conservatoire d’art dramatique d’Orléans. Un huis-clos source de repli sur soi, d’intériorisation forcée dans un climat guerrier propre à tous les délires, désirs et profondes divagations, où les bruits extérieurs se mêlent aux sons des mouches, rares êtres vivants.
Quelques mois plus tard, avec la complicité de la compagnie Offshore et l’appui de Michel Lefebvre et de son équipe, le texte a pris corps, sans détour ni fausse pudeur. “Voilà quinze jours, à Ferolles, la salle était comble. Là, après une préparation à l’espace Boutrouche, à Ingré, et 4 jours en résidence dans les locaux de la Compagnie Clin d’oeil nous avons fait quelques ajustements, dans la mise en scène et un peu dans le texte“. Des apports infimes, mais non négligeables, qui renforcent la dualité de la performance.
Un “seule en scène” hypnotique
Le programme indique une représentation d’une heure quarante. A la sortie, les yeux brillants, parfois humides, les spectateurs avouent ne pas avoir vu le temps passer, l’évaluant beaucoup plus court. Et divergent dans les commentaires, quand ils trouvent les mots. Faut-il louer en premier la performance de l’actrice, qui nous a tenus en haleine sans faillir, jouant à plein de sa voix et de son corps, maîtrisant son texte et son personnage, ou s’attarder surtout sur la force des mots, de la folie ambiante et pourtant contenue, soutenue par la qualité des lumières…et des odeurs ? “« Je suis peut-être C.O.N.T.A.G.I.E.U.S.E (…) Enfermée à l’intérieur de moi / dans le plus grand des calmes / dans ce silence de cathédrales“.
Contagieuse ? Peut-être, mais pas comme elle le pense. Etrange confinement, qui a meurtri les chairs, atteint les moins sensibles, et décuplé la force créatrice et libératrice des plus empathiques, mettant à nu la moindre parcelle d’eux-mêmes, dans la tête puis sur scène, comme pour siffler “le désespoir la maladie la fin du spectacle“. Le tout est hypnotique, surprenant, et tellement captivant.
Une séduisante intensité
“C’est un spectacle qui fait souvent peur aux programmateurs. C’est très difficile de se faire acheter parce qu’ils estiment que ce n’est pas drôle, trop intense, et que les gens ne viendront pas“, regrette Ana Elle. “Car ils ont tort. Les gens sont curieux, transportés et bienveillants vis à vis de ce travail. Beaucoup me demandent quand ce sera rejoué. J’ai envie aussi de faire passer ce message. Pourquoi les programmateurs ont-ils peur ? Alors que les gens n’attendent que ça ?“.
“Quand les gens les larmes aux yeux viennent me voir et me disent merci… Bah… Ça me retourne. Je suis heureuse d’avoir pu leur faire ce don de moi. Ce cadeau“. Un cadeau réussi grâce au soutien de nombreuses personnes, dont cet homme qui “supporte mes abysses, mes mélancolies, mes orages de création, mes contresens, mes silences, mes doutes, mes indécisions et mes insatisfactions chroniques » (p149). La signature d’une véritable artiste, qui séduit par la force de sa démonstration.
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