Deuxième saison des Nocturnes Féministes au FRAC du Centre Val-de-Loire. C’est l’économiste et féministe Céline Piques qui a ouvert le bal le 6 octobre 2022 aux Turbulences à Orléans. Extraits des meilleurs moments de la conférence.
Par Sophie Deschamps
Après une première saison réussie, le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC) récidive avec ses nocturnes féministes. Cette fois, c’est Céline Piques, économiste, présidente d’Osez le Féminisme ! et depuis peu présidente de la commission violence du Haut Conseil à l’Égalité qui était invitée pour la présentation de son manifeste Déviriliser le Monde, demain sera féministe ou ne sera pas (éditions Rue de l’échiquier dans la collection les incisives.)
Cette jeune brune dynamique et souriante a raconté tout d’abord la raison d’être de cet ouvrage : « J’ai eu envie d’écrire ce manifeste parce que je suis entrée dans le féminisme par le militantisme. J’ai beaucoup appris parce qu’être sur le terrain pendant plusieurs années c’est concret et c’est à ce moment-là que l’on s’interroge et que l’on essaie d”ancrer sa pensée. Et Osez le féminisme ! est une bonne école de formation féministe. Surtout, j’avais envie de transmettre. C’est d’ailleurs l’architecture du livre, c’est-à-dire que chaque chapitre s’ouvre sur une citation ou carrément un extrait de texte d’une féministe qui a permis d’ancrer les positions d’Osez le féminisme ! et plus précisément mes convictions politiques et féministes. Par exemple, je cite Alice Coffin sur la question du lesbianisme mais aussi des féministes plus anciennes comme Gisèle Halimi, Christine Delphy, l’une des fondatrices du MLF ou Andréa Dworkin qui a milité dans les années 70 et 80.
Donc je voulais absolument ne pas oublier notre matrimoine féministe, c’est-à-dire sortir des femmes de l’invisibilisation pour savoir d’où l’on vient et du coup où l’on va. C’est d’ailleurs ce que fait le FRAC avec sa biennale féministe à Vierzon ».
Elle a très vite évoqué bien sûr les violences masculines ici et ailleurs puisqu’une manifestation en soutien aux iraniennes se tenait durant cette nocturne féministe dans les rues d’Orléans. Selon elle, le port du voile est mal abordé : « Il faut avoir une pensée intersectionnelle et antiraciste et s’attaquer aux hommes et aux religieux qui imposent le voile et non aux femmes voilées. »
La violence patriarcale à la base de toutes les violences
Puis elle cite justement. André Dworkin qui disait déjà dans les années 70 « que la violence masculine est une construction sociale, une éducation à la violence et surtout une violence patriarcale à la base de toutes les autres violences comme celles de la résurgence du fascime ou de la guerre en Ukraine. » Et de citer Vladimir Poutine qui a supprimé il y a deux ans en Russie le délit de violences masculines, même si de timides corrections sont apportées aujourd’hui.
Le vocabulaire compte aussi énormément pour Céline Piques qui préfère le terme de violences masculines à celui de violences faites aux femmes car « dans le second terme l’agresseur disparait ». Elle se réjouit bien sûr que le terme féminicide ait remplacé celui de crime passionnel et que le terme pédocriminalité commence à se substituer à celui de pédophilie.
La féministe a également rappelé, en France cette fois, la terrible campagne présidentielle d’Éric Zemmour sous le signe du racisme et de la mysoginie. Celui-là même qui dans son livre Le bûcher des Vaniteux 2 avait osé déclarer en 2013 : «Depuis vingt ans, il y a une montée de la présence féminine dans la vie politique. Or, parallèlement, le pouvoir s’évapore du politique. »
Inégalités de salaires mais aussi fiscales
En tant qu’économiste Céline Piques est revenue aussi sur les inégalités de salaires entre femmes et hommes. Elle a clairement expliqué pourquoi il faut encore retenir le chiffre de 25% au lieu de 12% voire 6% qui tente d’être imposé aujourd’hui comme s’il y avait eu une réelle avancée. Pour elle « il faut parler de salaire comparable à travail comparable à cause de la subsistance de métiers extrêmement genrés et mal payés pour les femmes notamment dans les secteurs du social, de l’éducation et du soin.»
Elle récuse avec force « le chiffre de 6% représentant la différence de poste à poste, ce qui est déjà trop et beaucoup, utilisé par la droite, mais qui ne tient aucun compte des évolutions de carrière beaucoup plus rapides chez les hommes, notamment chez les cadres». Selon elle, les solutions sont du côté « d’un rallongement du congé paternité et de la création d’un véritable service public de la petite enfance » à condition d’y inclure autant de salarié.e.s masculins que féminins est-t-on tenté d’ajouter.
Mais Céline Piques va plus loin en pointant également une inégalité fiscale via l’imposition par foyer en France (l’un des seuls pays à le faire en Europe) et non par personne. Un système défavorable aux femmes quand elles ont des revenus moins importants que les hommes puisque les revenus imposables sont additionnés puis divisés par deux. Car ajoute-t-elle « implicitement, ce système implique que la famille met ses revenus en commun, or rien n’est moins sûr. »
L’économiste rappelle par ailleurs que « lors d’une séparation les mères perdent en moyenne 22% de leur niveau de vie contre 5% pour les pères. » Elle plaide donc pour une non-imposition des pensions alimentaires et des mesures fortes pour empêcher leur non-paiement.
Céline Piques a voulu finir son propos par une note positive et optimiste rappelant le prix Nobel de littérature attribuée le 6 octobre 2022 pour la première fois à une autrice française, Annie Ernaux, féministe et engagée à gauche de surcroît. Sans nier tout ce qu’il reste à faire, elle estime que « clairement, on est train de gagner la bataille culturelle du féminisme et de marquer des points. Par exemple, l’affaire PPDA et le livre d’Hélène Devynck Impunité sont autant de signes que de tels faits ne seraient plus possibles aujourd’hui, surtout durant des décennies.» Autant de raisons et d’urgence donc à déviriliser le monde.
Et de donner des conseils de lecture, notamment l’ouvrage de Christine Bard, Mélissa Blais et Francis Dupuis-Béry Antiféminismes et masculismes d’hier et d’aujourd’hui, publié aux PUF.
Enfin, une bonne nouvelle en appelant une autre, l’oeuvre Fuck Patriarcat vandalisée en juin 2022 a (enfin) retrouvée sa place en septembre dans la cour du FRAC .