Un seul en scène éblouissant, un public captivé par le texte d’Alphonse Daudet restitué magistralement par Philippe Caubère, l’artiste marseillais a frappé un grand coup pour l’ouverture de la saison du théâtre Clin d’œil.
Par Bernard Thinat
Les Etoiles et autres lettres d’Alphonse Daudet
Près de 180 spectateurs s’étaient donné rendez-vous vendredi 7 octobre, salle des Fêtes de Saint-Jean de Braye, afin pour beaucoup de découvrir celui qui fut invité par Ariane Mnouchkine dans les années 70 à rejoindre le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, restituer la Révolution Française, incarner Molière ou Dom Juan. Puis dans les années 80, sa soif d’écriture et de mise en scène le mèneront vers « la Danse du Diable » dans un « Seul en scène » qui n’était pas à l’époque à la mode, dans des spectacles où il « jouera sa vie » dans une relation psychanalytique, me confiera-t-il. En ce sens, il fut un précurseur de ce genre théâtral, aujourd’hui très prisé par des comédiens, souvent pour des raisons économiques.
Photo B.T.
Pas de décor, seul sur le plateau qu’il tient durant une heure et demie, Philippe Caubère embarque son public en Corse du côté du Phare des Sanguinaires et du naufrage de la Sémillante, en pleine Camargue où les taureaux font face aux vents, avec Pixiou le dessinateur qui ne voit plus beaucoup, l’ami de Maurice et les deux petits vieux qui l’accueillirent à bras ouverts pour terminer par l’histoire du berger qui raconte les étoiles à la jeune fille du patron, laquelle finira la nuit endormie sur son épaule. Spectacle romantique, fantastique, amoureux ! Il fallait sentir le public rivé aux mots de l’artiste, dans un silence parfait, s’approprier les « Lettres de mon Moulin », les happer, les déguster, et au final déclencher une ovation pour le comédien marseillais.
Avec un texte relativement exigeant, celui d’Alphonse Daudet, accompagné par les polyphonies corses ou les notes de Philip Glass, transporter son public vers Bonifaccio, vers Tarascon, en pleine nature ventée, ou sur la place du village à côté du couvent des orphelines, avec ses accents sudistes qu’il maîtrise à merveille, ses quelques pas de danse, il fallait le voir dans la posture du taureau face au danger, c’est cela le talent de l’acteur ! Combien sont-ils à pouvoir réaliser de telles performances théâtrales sans tomber, comme c’est trop souvent le cas, dans la démagogie ou l’à peu près ? Et merci au théâtre Clin d’œil et son Directeur artistique Gérard Audax, aux anges toute la soirée, chacun le comprendra, de tenir une programmation de qualité face aux récifs qui menacent la culture, comme ils menacent les navires à la pointe des îles Lavezzi.
Le film : “Molière”
Le lendemain samedi était projeté le long métrage d’Ariane Mnouchkine, « Molière », d’une durée de 4 heures, avec le même Philippe Caubère dans le rôle titre, sorti à Cannes en 1978, et étrillé par une critique qui s’est déshonorée à l’époque, tant aujourd’hui il apparaît à chacun comme un vrai chef d’œuvre cinématographique.
Le film retrace la vie de Molière, de ses 10 ans jusqu’à sa mort. Scènes fulgurantes, d’une beauté à couper le souffle ! j’en retiendrai trois : le carnaval à Orléans avec la présence authentique de l’étudiant en droit ; une scène de théâtre en pleine nature, emportée par le vent jusqu’au bord d’un ravin ; et sa mort, le corps transporté dans les escaliers, baignant dans son sang, sur « l’air du froid » de Purcell, au ralenti à l’écran.
A l’issue du film, il répondra au public, faisant jaillir ses souvenirs d’il y a 45 années. Chapeau l’artiste !
Deux amis, Caubère et Audax, devant l’exposition des gravures de Mathilde Bernadac. Photo B.T.