En présence du ministre de l’Education nationale et de la jeunesse Pap Ndiaye, la soirée d’ouverture du cycle Économie des Rendez-Vous de l’Histoire a dressé le tableau d’un pays fragmenté et en mutation dans lequel il est urgent de construire un nouveau récit national.
Pap Ndiaye, Françoise Fressoz (Le Monde), Chloé Morin et Jérôme Fourquet ont disserté sur le mal-être français. Crédit photo Jean-Luc Vezon.
Par Jean-Luc Vezon
Cette 9e édition du volet économique avait pris cette année un relief particulier avec la présence de l’historien Pap Ndiaye (Les Noirs américains : De l’esclavage à Black Lives Matter), nommé ministre de l’Education en mai dernier. Devant les 600 personnes présentes dans l’hémicycle de la Halle aux Grains, les invités de la table ronde inaugurale, les politologues et essayistes Chloé Morin et Jérôme Fourquet, ont ainsi plus parlé sociologie et politique que macro économie.
Le droit à la paresse
« Faut-il inscrire le droit à la paresse dans notre constitution ? » avait d’emblée déclaré un brin provocatrice Marie-Noëlle Amiot, présidente de la CCI 41, institution à l’origine de la place de l’Economie aux RDV de l’histoire qui fédère une quarantaine d’événements parmi le riche programme de cette 25e édition.
Directeur du département « opinions et stratégies d’entreprises » de l’Institut Français d’Opinion (IFOP), Jérôme Fourquet constate d’abord que « la crise est l’état normal de notre société » mais qu’il y a sans conteste une accélération. Rapport au travail modifié, e-commerce, américanisation … l’auteur de « la France sous nos yeux » pointe aussi les clivages sociétaux sur l’économie ou le climat (métropoles-périphéries, jeunes-babyboumeurs, capital-travail) et la fragmentation sociale qui se traduit sur le plan politique par l’émergence du macronisme et la montée du RN.
« On est au bout d’un cycle, il y a une explosion des cadres de pensées. La marche vers le progrès n’est plus le plus important face aux ressources limitées de notre planète. La recherche du bien-être s’impose » déclare de son Chloé Morin, politologue disruptive (On a les politiques qu’on mérite) experte associée au Cercle Jean Jaurès.
« Pacificateur d’une société troublée » comme le qualifie Françoise Fressoz du journal Le Monde qui animait le débat, Pap Ndiaye dresse d’abord un constat sur l’école en se référant à Jules Ferry : « L’école française réussit moins à corriger les inégalités de naissance ; les filières les plus sélectives accueillent peu d’élèves des classes populaires ». Pour le ministre, notre système est « en difficulté » en particulier le collège comme l’illustrent les classements PISA. 25 % des élèves n’y posséderaient pas les pré-requis.
Bousculé par la COVID-19, le travail semble ne plus être la valeur principale pour beaucoup. « La centralité du travail a perdu son rôle » pointe Jérôme Fourquet. Revenu universel, droit à la paresse vanté par l’ultra féministe Sandrine Rousseau, on est loin du « travaillez plus pour gagnez plus » de Sarkozy.
Alors comment sortir de ce marasme qui se traduit une abstention politique massive notamment chez les jeunes ? « Il y a une disjonction entre les modes de socialisation des jeunes et l’offre politique » tempère Chloé Morin en se référant aux marches pour le climat.
L’enjeu démocratique
Pour Pap Ndiaye, l’enjeu démocratique est urgent : « la France est diverse, les mondes politiques et économiques doivent ressembler davantage à la société française. Puisons dans nos propres forces pour mieux parler au monde et faire reculer les populismes ».
Recréer et faire vivre un récit national, la fin des échanges traitera de ce thème. Pour Jérôme Fourquet, c’est « le rôle de l’école de donner ce commun minimal mais ce n’est pas simple dans une république une et indivisible à la différence de nos voisins qui sont des pays fédérés ».
La France sera ainsi devenue sans illusion, voire « reléguée en 2e division » selon J. Fourquet et ses élites incapables de porter un nouveau récit pour C. Morin. Pap Ndiaye rejette avec conviction ce postulat et prône un récit national pour montrer que « nous sommes toujours une grande puissance ».
« J’ai le sentiment de vivre dans un grand pays, une grande nation qui possède toujours des atouts de puissance dans le domaine de la coopération internationale, de la culture, du tourisme mais aussi dans la lutte contre le réchauffement climatique » assure le ministre-historien. Et de conclure ce plaidoyer optimiste : « la voix de la France porte avec en plus le panache de Cyrano ! ».
Pap Ndiaye veut transformer l’école pour la rendre plus égalitaire et inclusive.
Crédit photo Jean-Luc Vezon.
L’histoire matière essentielle pour Pap Ndiaye
Le ministre, qui ne peut être présent pour la traditionnelle inauguration du vendredi matin, a pris la parole à l’issue de la table ronde et commis un très beau discours où il a notamment salué l’importance de l’histoire, « une œuvre commune », le travail des professeurs d’histoire et l’importance des Rendez-Vous de l’Histoire pour la formation de ce corps.
Habitué des RDVH où il s’est rendu une dizaine de fois, le chantre de la diversité n’a pas caché son émotion d’y venir comme ministre. L’auteur de La Condition noire : essai sur une minorité française n’a pas manqué d’honorer la mémoire de son collègue Samuel Paty, sauvagement assassiné en 2020, et a salué l’existence du Prix lycéen du livre d’histoire créé en 2020.
Mais c’est bien en politique qu’il a défendu l’action du gouvernement et la concertation mise en place au sein du Conseil national de la refondation. « Nous avons créé un fonds national d’innovation pédagogique de 500 M€ pour financer des projets venant des établissements et nous allons nous attaquer à la classe de 6e pour résoudre les difficultés des élèves avec également des classes tremplin » a aussi annoncé un Pap Ndiaye très à l’aise dans son costume de ministre de la République.