Rentrée des classes: l’École du président ?

Devant les recteurs d’académie réunis à la Sorbonne dans le cadre de leur traditionnelle réunion de rentrée avec leur ministre, le chef de l’État – qui s’invitait pour la première fois depuis 2017 à ce rendez-vous dans cette prestigieuse enceinte – est revenu sur son bilan en matière d’éducation (évidemment présenté comme positif) et a tracé des lignes d’horizon pour le quinquennat à venir.

Par Jean-Louis Herco

Il nous semble opportun de revenir sur le constat dressé par le chef de l’État, les priorités énoncées, et surtout sur la vision de l’École portée en creux par le discours présidentiel. Son « ambition pour l’école » fut accueillie au terme d’une heure de discours par une longue ovation debout (les recteurs sont nommés, rappelons-le, en Conseil des ministres par le chef de l’État).

« Tout ne va pas bien »

Le constat fait par le président est lucide et sévère, l’école française « n’est plus à la hauteur ».

Et le président d’appeler à « une révolution copernicienne ». Celui qui se disait jupitérien ne pouvait manquer de se risquer à cette céleste analogie. Cette « révolution culturelle » doit s’appuyer sur une nouvelle méthode qui sera mise en place, entre autres, à travers le Conseil national de la refondation (CNR). Il n’est pas fait état ici, on le remarquera à nouveau, du Parlement de la République française.

Pour l’heure, le président a fixé quatre priorités pour l’année qui s’ouvre : améliorer la formation des élèves, garantir l’égalité des chances, favoriser l’orientation et privilégier l’insertion professionnelle. On ne peut que souscrire à de telles ambitions immédiates et espérer la toujours fragile concrétisation des annonces effectuées : revalorisation des salaires des enseignants, extension du Pass culture aux élèves dès la sixième (dispositif permettant d’avoir accès à un crédit individuel pour acheter des biens culturels), création d’un fonds d’innovation pédagogique d’« au moins 500 millions d’euros » pour les établissements scolaires souhaitant mettre en place un projet pédagogique spécifique, « transformation profonde » des lycées professionnels avec « des temps de stage d’au moins 50% », et mieux rémunérés.

Le chef de l’État, omniprésent en cette rentrée, a coupé court au projet de milliers de débats dans toutes les écoles à l’automne comme l’avait promis le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, début août. Il n’y en aura pas, ou alors sur la base du volontariat. Autrement dit, pas.

Effectivement «Tout ne va pas bien» et depuis longtemps…

Les enseignants, qui ne se réuniront donc pas à l’automne dans ce qui aurait pu être un utile autre « Grand Débat National » permettant à toutes et à tous d’échanger sur des questions essentielles concernant le système éducatif, auraient pu évoquer différents sujets que le citoyen ne retrouvera pas sur les éléments de langage docilement diffusés par les députés les plus zélés de la relative majorité présidentielle à l’occasion de cette rentrée des classes.

Le pays doit faire face à un très inquiétant manque de professeurs. La profession connaît une grave crise d’attractivité, avec plus de 4 000 postes non pourvus cette année aux concours enseignants, sur 27 300 postes ouverts dans le public et le privé. Le ministre de l’Éducation admet une « tension inédite », mais refuse de « tout peindre en noir ». Cette désaffection s’explique pour une large partie par la faible rémunération du métier. Pour beaucoup de professeurs (que l’on désigne désormais par le terme de « personnels » au sein du ministère), les 500 millions d’euros promis gagneraient davantage à être insufflés dans le rattrapage salarial plutôt que dans des missions supplémentaires pour gagner plus, alors que l’État n’arrive plus à recruter.

Une réalité salariale

Que l’on y songe, et le président aux affaires depuis mai 2012 (une décennie déjà), ne peut ignorer cette réalité salariale du corps professoral français, l’un des plus mal lotis en Europe ainsi qu’au sein de la fonction publique française. Un récent rapport du Sénat pointait ce triste fait et appelait le gouvernement à agir : « En euros constants, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25 % de rémunération au cours des 20 dernières années. » Les enseignants, fonctionnaires de catégorie A, touchent près de 1 000 euros de moins par mois que la moyenne des autres catégories 1 de la fonction publique d’État. La revalorisation de 10% promise ne permettra pas de combler cet écart. Une leader syndicaliste racontait il y a peu, tristement et honteusement, qu’elle allait faire sa 13ème rentrée avec 2002€ par mois. C’est précisément ce salaire que le président promet à l’avenir aux jeunes enseignants qui croiseront donc dans la salle des professeurs, des collègues au huitième échelon qui continueront à percevoir ce même salaire et pour qui rien n’est prévu.

Ce « choc d’attractivité » selon le ministre suffira-t-il à recruter davantage de vocations grâce à des rémunérations initiales plus attractives ? L’avenir le dira. L’épisode Blanquer, le ministre qui n’aimait pas ses professeurs, a durablement affaibli le lien entre eux et leur autorité de tutelle. Les professeurs, c’est-à-dire « celles et ceux qui transmettent un savoir, qui dispensent la connaissance d’une discipline, d’une science, d’un art », aiment et croient en leur métier mais ont été usés par des années de réformes perpétuelles au gré des lubies ministérielles, d’incessants changements de programmes, d’absence de considération de leur administration – devenue maladroitement managériale – et d’une part de la population qui découvre, ahurie, que le pays ne trouve plus ses professeurs, ces fameux privilégiés absentéistes. Ils ne sont effectivement plus là.

Un recours massif aux contractuels

La France ouvre les yeux sur le recours massif aux contractuels pour pallier ce déficit, ces jobdatés formés en quatre jours, à qui l’État confiera l’éducation de nos enfants. Le ministre s’échine à trouver des solutions dans l’urgence. « Nous allons ouvrir au printemps 2023 un concours exceptionnel de titularisation » des enseignants contractuels, a ainsi annoncé Pap Ndiaye, le vendredi 26 août. Le président, lui, voit plus loin. C’est ainsi que devant les recteurs, qui allaient bientôt applaudir, il a relevé des diplômes excessifs demandés aux futurs professeurs alors que c’est précisément sous son précédent quinquennat que le concours de recrutement a été décalé en fin de Master 2 ! Cette fumeuse solution a immédiatement provoqué l’ire d’un collectif d’universitaires s’alarmant de ce recrutement de professeurs low cost. « Ce serait un bond en arrière consternant, et une régression extraordinaire », ont-ils tempêté !

On voit poindre derrière cette étonnante dernière sortie les ressorts idéologiques d’un président porté par un indéniable libéralisme anglo-saxon. C’est un positionnement classique de droite en France en matière de politique éducative. Il est respectable. Les Français doivent juste en être informés. Le président revendique l’autonomie des établissements scolaires dans le recrutement, le fonctionnement, s’enthousiasme pour l’expérimentation marseillaise (toujours pas évaluée), place ses espoirs dans l’innovation et un très sarkozien « pacte de confiance » où il faut travailler plus pour gagner plus, et idéalise la venue de l’entreprise en classe de 5ème (où les enfants ont 12 ans) et ne précise d’ailleurs pas sur quel temps scolaire se déroulera cette « demi-journée avenir hebdomadaire » (à la place du français, des maths ?).

Est-ce véritablement ce projet d’école républicaine auquel les Français aspirent ? Cette question mérite d’être publiquement posée et impose une discussion au sein de la représentation nationale. En ces temps de pénuries, et maintenant de pénurie de professeurs, ne rationnons pas ce débat démocratique.

 



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