Les mots du président

Le 19 août dernier, le chef de l’État en vacances à Brégançon, la résidence officielle de villégiature estivale du président de la République – relativement boudée par ses prédécesseurs – , s’est exprimé dans le cadre d’une cérémonie pour l’anniversaire de la libération de Bormes-les-Mimosas (Var) en 1944. Il y a longuement évoqué la guerre en Ukraine.

Par Jean Louis Herco

Photo Twitter

Les mots du président furent les suivants : « Je pense à notre peuple auquel il faudra de la force d’âme pour regarder en face le temps qui vient, résister aux incertitudes, parfois aux facilités et à l’adversité et, unis, accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs ».

Sur son compte Twitter, le 20 août, les services de la présidence choisissaient de présenter ce texte :

« La France comme Nation et comme République n’est jamais un acquis, jamais un droit mais un legs à transmettre, un combat à mener. Face aux incertitudes, à l’adversité du temps qui vient, nous devons rester unis et ne rien céder de nos valeurs. »

https://www.bfmtv.com/politique/elysee/emmanuel-macron-je-pense-a-notre-peuple-auquel-il-faudra-de-la-force-d-ame-pour-regarder-en-face-le-temps-qui-vient_VN-202208190479.html

Le 24 août, à l’occasion du Conseil des ministres de la rentrée où les caméras étaient exceptionnellement conviées à filmer, le président dans son préambule a fait un nouveau point sur la récente « série de crises graves », alertant les Français sur un nouveau contexte marqué par « une grande bascule », « un grand bouleversement », avec « la fin de l’abondance », « la fin des évidences » et « la fin d’une forme d’insouciance ».

On le voit, le ton choisi pour l’ensemble de cette séquence présidentielle est martial, empreint de gravité, les mots sont forts pour frapper l’imaginaire et méritent notre plus grande attention. Face à cette parole d’autorité, structurellement performative, les sempiternels détracteurs verront de nouvelles déclarations à l’emporte-pièce, d’autres les signes annonciateurs d’une époque bien sombre à venir. On pourrait alors s’interroger – une nouvelle fois – sur la pertinence et l’opportunité d’une telle prise de parole à l’ombre des mimosas, ou sous les lambris de l’Élysée, bien loin de la représentation parlementaire.

De la crédibilité de la parole publique

Nous sommes désormais habitués depuis 2017 à une certaine grandiloquence romantique dans les discours du président, un sens du tragique. Le ton est volontiers théâtral. « Nous sommes en guerre » (12 mars 2020). On constatera également que cette communication s’illustre par des fluctuations, voire des incongruités au gré des circonstances que l’emploi d’un touchant vocabulaire désuet peine à faire oublier.

Mais ici les mots pèsent de tout leur poids pour les citoyens d’en bas. Le président de la République, très churchillien dans sa posture, nous annonce des temps douloureux. Ces déclarations s’inscrivent dans le prolongement de la stratégie présidentielle afin de préparer les Français à vivre un automne et un hiver difficiles, notamment en raison des risques de pénurie d’énergie et de la forte inflation qui y est liée. Le président s’y était déjà employé lors de son discours du 14 juillet.

Écartons tout de suite la possibilité d’instaurer un climat de peur pour faire diversion, d’imputer à une conjoncture internationale périlleuse de mauvais choix en matière de politique énergétique, économique, sanitaire, cela serait indigne de la fonction, de ses immenses responsabilités face un avenir que chacun devine inquiétant. Mal élu, le plus mal élu avec Georges Pompidou de l’histoire de la Cinquième République, – mais légitime – , disposant d’une majorité relative à l’Assemblée, on ne peut imaginer qu’il utilise ce ressort rhétorique – le pathos – pour faire de la politique intérieure, au risque de décrédibiliser définitivement une parole publique sur le si éphémère autel sondagier.

Du chef de l’État et du Parlement

Le président est bien renseigné, très bien renseigné, il faut donc prendre chaque mot à la lettre. Il nous faut nous interroger collectivement. Les termes « incertitudes » et « adversité » reviennent à deux reprises dans la communication présidentielle, ce n’est pas un hasard ; la pédagogie est aussi l’art de la répétition. Mais, de quel « prix » parle-t-il ? Un coût économique ? Financier ? Un possible et glaçant coût humain pour nos soldats ? De quelle « liberté » est-il précisément question ? À quelles nouvelles restrictions devons-nous nous préparer ? Nouveaux confinements et couvre-feux ? Rationnement ? Tout ceci est bien énigmatique.

On peut concevoir que le chef de l’État alors que la guerre est « revenue à quelques heures de nos frontières sur le sol européen » et « qui tonne à nos portes » ne puisse ou ne doive se montrer plus explicite, mais il y a un Parlement qui puise sa souveraineté dans le suffrage universel et gagnerait démocratiquement à être informé, consulté, pleinement associé face à de tels périls annoncés. Doit-on rappeler que le premier alinéa de l’article 35 de la Constitution du 4 octobre 1958 subordonne la déclaration de guerre à l’autorisation du Parlement ? Qu’en dehors de toute déclaration de guerre, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a accru le contrôle du Parlement sur l’engagement des forces armées à l’étranger (OPEX) que le chef de l’État en sa qualité de « chef des armées » (art. 15 de la Constitution) peut ordonner. Il y a également un peuple, « notre peuple auquel il faudra de la force d’âme », et qui aurait pu être davantage informé des conséquences d’un soutien nécessaire au légitime gouvernement ukrainien attaqué par une puissance étrangère. Il y a enfin une indispensable clarification de notre posture stratégique à mener de concert avec la représentation nationale que l’on espère unie alors que la menace gronde.

Un nouveau calendrier parlementaire

Mais, pour la première fois depuis 2005, il n’y aura pas de session extraordinaire à l’Assemblée nationale en septembre. Les travaux reprendront en session ordinaire le 3 octobre.

Ce nouveau calendrier parlementaire s’inscrit selon l’entourage du ministre chargé des Relations avec le Parlement « dans la nouvelle méthode de compromis et de dialogue voulu par le président de la République et la Première ministre avec le Parlement ».

Ce même 19 août, après la cérémonie du 78ᵉ anniversaire de la libération de Bormes-les-Mimosas, le président a annoncé le lancement du Conseil national de la refondation, le 8 septembre. Cette instance, à l’acronyme prestigieux, avait été évoquée début juin 2022 dans une interview donnée à des journaux locaux comme destinée à réunir les forces politiques, économiques, sociales et associatives du pays, ainsi que des citoyens tirés au sort pour initier des réformes. Le président avait mentionné un « dialogue » pour réfléchir aux « cinq » objectifs portés pendant la campagne : « l’indépendance (industrielle, militaire, alimentaire…), le plein-emploi, la neutralité carbone, les services publics pour l’égalité des chances et la renaissance démocratique avec la réforme institutionnelle ».

Intéressante nouvelle façon de gouverner à l’heure où l’on redoute une rupture du contrat civique, mais il y a déjà un Parlement pour cela, avec des sénateurs, des députés – récemment élus. Le nouveau contexte politique intérieur et extérieur devrait au contraire placer le Parlement comme principal cœur du débat. Le grand Georges Clemenceau, à la Chambre justement, dans la séance du 4 juin 1888, alors qu’il s’opposait au général Boulanger en qui il voyait désormais un nouveau Bonaparte, exaltait la pratique du régime républicain : « Eh bien, puisqu’il faut vous le dire, ces discussions sont notre honneur à tous. Elles prouvent surtout notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage encore. Oui ! gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. Si c’est le régime de discussion que vous croyez flétrir sous le nom de parlementarisme, sachez-le, c’est le régime représentatif lui-même, c’est la République sur qui vous osez porter la main.»

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