Quand Petra devient Peter

François Ozon s’est approprié le texte d’une pièce que Fassbinder avait écrite, puis filmée, en 1972. Il en fait une somptueuse histoire de passion dans le monde des stars du cinéma. Avec son grand amour des acteurs, il peut se permettre de fouiller leurs travers. Il sait choisir les meilleurs pour leur proposer des rôles importants, difficiles mais formidables. Denis Ménochet en star dans le film, qui le fait devenir star dans la vie ?

Par Bernard Cassat

Peter (Denis Ménochet) et son jeune amant Amir (Khalil Gharbia. Photo Carole Bethuel

Rainer Werner Fasbinder, homme de théâtre autant que de cinéma, écrit la pièce Les larmes amères de Petra Von Kant en 1971. Il filme le même scénario en 10 jours en 1972. Petra von Kant, une célèbre créatrice de mode, vit avec Marlene, styliste et assistante qu’elle se plaît à maltraiter comme son esclave. Elle s’éprend alors de Karin, une belle jeune femme d’origine plus modeste à qui elle propose de partager son appartement et de bénéficier de ses appuis pour se lancer dans le mannequinat… François Ozon, 50 ans plus tard, s’empare de ce texte, le transforme (toutes les femmes deviennent des hommes) et sort son 21e long métrage, Peter Von Kant. C’est peut être Hanna Schygulla, présente dans son dernier film “Tout s’est bien passé”, qui a fait le lien. Elle tenait en 1972 le rôle de Karin, la belle amante. Elle joue ici celui de la mère de Peter, personnage rajouté mais qui se justifie tout à fait.

Huis clos ouvert par l’image

Ozon reste dans le théâtre. Lieu clos, grandes verrières et grands rideaux, immenses reproductions de tableaux sur les murs, on est dans un décor très homo années 70. De luxe, puisque Peter (Denis Ménochet) est un réalisateur à succès. D’ailleurs, son amie la star Sidonie (Isabelle Adjani), joue le jeu des vedettes, ce discours déconnecté qui vante toujours son propre ego en démolissant celui des autres. Le jeune Amir (Khalil Gharbia), le « prolo » de l’affaire qui n’a que son corps à vendre, poussé par Peter, se découvre acteur. La scène du casting, où Peter filme Amir de très prés, est en cela un tour de force. Le visage du jeune homme joue en quelques minutes une transformation incroyable où son innocence devient pure crapulerie du jeu le plus poussé. Il rejoint ainsi le monde des stars, de Sidonie comme de Peter, ce monde de gens qui jouent tout le temps et qui se regardent jouer, ce monde d’egos monstrueux qui passent à coté du véritable amour parce qu’ils veulent vivre chaque instant dans la passion. Et lorsqu’ils butent sur la réalité, sur l’impossibilité d’un tel amour totalement imaginaire, ils se mettent à délirer, se mortifier, faire mal aux autres. Une fois quitté, Peter construit un sentiment morbide et destructeur où il joue sa souffrance devant son propre miroir, et cette souffrance devient plus importante que son amour perdu. Grand cinéaste homo, il va jusqu’au bout. Il se transforme de plus en plus en Fassbinder lui même, cette silhouette aux lunettes noires que l’on connaît.

Les actrices stars, Isabelle Adjani et Hanna Schygulla. Photo Diaphana Distribution

Des acteurs prodigieux

Le film porte à chaque instant la marque brillante d’Ozon. Images magnifiquement construites, chaque détail soigné à l’extrême, jeu des lumières superbes sur les peaux, sur les visages, qui crée une sensualité poussée. Et puis comme d’habitude, l’importance des chansons. Ozon construit un écrin somptueux pour ses acteurs. Car ce sont eux qui font bouger le film. Denis Ménochet porte le film de bout en bout. A la fois infecte et touchant, tendre et repoussant, au visage complexe qui parfois exprime des inverses, il joue magnifiquement ce personnage d’homosexuel outrancier mais sait en trouver les gestes quotidiens, les expressions furtives pour éviter toute caricature. Adjani elle aussi habite son personnage difficile avec une humanité qui serait touchante si son personnage l’était. Le jeune Khalil, beau comme un dieu, est d’abord un corps. Quand à Hanna Schygulla, sa simple apparition à l’image est magique.

Plus somptueux que l’original, plus cinématographique aussi, ces larmes amères de François Ozon rappellent que le travail de Fassbinder a toujours été une source d’inspiration (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, déjà, en 2000). L’intelligence de l’adaptation et la maîtrise prodigieuse des castings lui permettent d’atteindre des sommets.

 

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