« Paying for it », discours sur la prostitution au CDN d’Orléans

Le Raoul Collectif était venu de Belgique nous rendre visite en mai dernier avec « Une Cérémonie » au cours de laquelle Don Quichotte, un ptérodactyle et Antigone étaient au menu dans un spectacle totalement débridé et enchanteur. Le CDN d’Orléans programme en cette toute fin de saison, trois pièces au sein desquelles on retrouve un acteur ou actrice du Raoul. Dans « Paying for it », Jérôme de Falloise se mêle au Collectif « la Brute » qui met les pieds dans le plat de la prostitution ou plutôt comme il le revendique, le travail du sexe.

Par Bernard Thinat

Ils sont neuf sur le plateau dont un policier (faux bien sûr), plus un dixième pour le prologue, Raven Ruëll, belge flamand comme il se présente, parlant français avec l’accent d’outre-Quiévrain comme il se doit. Exceptionnel numéro d’acteur qu’il nous livre pour resituer la prostitution dans son cadre historique, celle des danseuses de l’Opéra au 19^ème siècle, les théâtres de Bruxelles, wallon et flamand, où le plus vieux métier du monde se déroulait dans les toilettes situées sous la scène, tout cela avec un humour corrosif. Et de nous présenter chacun et chacune sur la scène, leur histoire, leurs livres publiés.

Photo B.T.

Artistes, mais dans la peau d’un ou une travailleuse du sexe, leurs discours sont des témoignages recueillis au long de plusieurs années à côtoyer ce monde qui existe, mais que beaucoup de veulent pas voir, qu’on cache, qu’on repousse au-delà de son quartier, de sa ville. Car ces témoignages montrent des hommes et des femmes considérant que leur travail est une profession comme une autre. Alors, certes, si ce n’est pas par « choix » (le mot est récusé), leur travail leur permet de donner du bonheur à des tas de gens, insatisfaits dans leur couple, seuls dans la vie, voire handicapés.

Alors, pouvait-on s’attendre à une mise en accusation de ce qu’est le travail du sexe, que sur les réseaux sociaux, dans le monde associatif et ailleurs, on condamne comme une dégradation de la dignité humaine ? Pouvait-on entendre une dénonciation du proxénétisme dont on sait qu’il tient en laisse la plupart des prostituées ? Mis à part les deux derniers discours (j’y reviens), le travail du sexe est présenté presque sous de beaux jours, avec un syndicat, sans débat contradictoire, et c’est là que le spectacle pose problème.

Néo-colonialisme et esclavage sexuel

Au final donc, le policier (Jérôme de Falloise) reprend la parole dans la posture de la petite danseuse de Degas, jeune prostituée elle-même, pour dénoncer le trafic de jeunes nigérianes qui arrivent par milliers en Belgique, en proie à un esclavage sexuel abominable, propos repris par Martin Rouet dans un réquisitoire terrible dénonçant le néo-colonialisme, et ces entreprises qui pillent l’Afrique Noire de ses ressources minières sans rien laisser aux habitants, sauf la misère et la prostitution forcée pour les jeunes femmes, la performance finale de Martin Rouet faisant écho à celle de Raven Ruëll lors du prologue.

A la question, « Peut-on faire théâtre de tout ? », la réponse est ici encore affirmative : si ces discours/témoignages peuvent paraître une suite de collages, ils forment une pièce théâtrale d’un excellent niveau, interprétée par un collectif formé de jeunes acteurs et actrices de l’école de comédiens de Liège, auxquels le public peu nombreux en cette fin de saison a réservé de chaleureux applaudissements. La pièce est programmée au prochain festival d’Avignon du 7 au 28 juillet, au Théâtre des Doms (celui où les compagnies belges francophones affluent !).