El Buen Patron, film espagnol de Fernando Leon de Aranoa, réalisateur assez peu connu en France et pourtant souvent récompensé dans son pays, exploite la veine des comédies critiques de la société. Le scénario, trop long, n’apporte pas vraiment de surprises, mais le film, porté par Javier Bardem en patron apparemment bon enfant mais en fait très dictatorial, devient une comédie noire assez prenante.
Bien loin du militantisme de Merci patron, le film de François Ruffin, cette comédie espagnole a pour personnage principal le patron, et non le peuple. Et quel patron ! Juan Blanco dirige l’entreprise familiale des balances Blanco. Magnifique image de la grande Roberval installée dehors à l’entrée de l’usine, avec un oiseau qui vient faire pencher la balance. Et magnifique discours devant tout son personnel pour annoncer qu’ils concourent à un prix d’excellence et que donc tout le monde, toute la famille, doit être prêt. Sauf que l’ambiance est gachée par un récalcitrant, qui vient d’être viré et qui va empoisonner tout le processus.
Derrière un sourire éclatant, des noirceurs plutôt sordides
Scandé par les jours de la semaine, le récit révèle progressivement toutes les noirceurs cachées derrière le sourire du patron. C’est vraiment la caricature du patron paternaliste, qui connait tous ses employés, qui a grandi avec certains, dont les pères étaient employés de son père. Et quand Miralles commence à dérailler, le patron l’invite au restaurant. Ou quand l’employé qui vient, le dimanche, entretenir sa piscine lui demande une faveur, il ne peut lui refuser. Tous les rapports sont sur le mode paternaliste, qui au fond n’est pas très loin d’un fonctionnement maffieux : systèmes de bons procédés, je t’aide, à charge de revanche, je te paye mais je peux interférer dans ta vie. D’ailleurs ce patron, comme pourrait le faire un parrain de la maffia, met en exergue la famille. L’entreprise, c’est une affaire de famille ! Tous les employés sont ses enfants, même les arabes… Ce n’est pas nouveau, et là dessus, El Buen Patron n’apporte pas vraiment d’innovation. C’est le regard, le personnage qui est intéressant.
Surtout incarné par Javier Bardem. Tout le film tient grâce à lui. Mélangeant sincérité, fourberie, agacement, contrôle, amusement ou colère rentrée, Bardem fait tout au long des deux heures un numéro époustouflant. Le repas au restaurant avec Miralles, par exemple, est un summum de fourberie non seulement patronale mais humaine. Il lui rappelle comment Miralles s’est dévoué, enfant, pour sauver son honneur. On apprendra plus tard que déjà tout jeune, Juan Blanco avait des réflexes de patron. Fernando Leon de Aranoa sait filmer cet acteur d’exception. Certains gros plans vont chercher très loin dans son visage la lueur d’ironie, de fourberie. Qui se révèle au grand jour dans un repas de patrons, chez lui, où les protagonistes n’ont plus aucune raison de faire semblant. Même le droit cuissage est exploité. Seul domaine ou le patron va se faire entourlouper par la jeune stagiaire. Pour le reste, pour les choses graves, pour le jeune qu’il a envoyé au casse pipe et qui reste sur le carreau, il ne sera pas inquiété alors que tout le monde sait. Et l’entreprise obtiendra son nouveau prix.
Certes la critique sociale est présente, mais trop classique pour prendre la force d’une dénonciation. La comédie ne cherche pas plus que l’effleurer. Malgré des longueurs qui cassent le rythme, la prestation des acteurs, surtout de Bardem, est exceptionnelle. Les comédies sont souvent des numéros d’acteur. El Buen Patron est en ce sens un film très réussi. D’ailleurs couronné par six Goya, équivalent des César en France.
El Buen Patron
Scénario, réalisation : Fernando Leon de Aranoa
Interprètes : Javier Bardem, Manolo Solo, Almudena Amor, Oscar de la Fuente, Sonia Almarcha, Fernando Albizu, Tarik Rmili, Rafa Castejon
Directeur photo : Pau Esteve