Laurie Lassalle, la réalisatrice de Boum Boum, immerge son témoignage dans la foule des manifestants et vit une intensité politique et sentimentale qui se nourrissent l’une de l’autre. Malheureusement, son montage ne dégage ni explication, ni distance avec les événements. Comme des flashs de journaux télévisés, les séquences s’enchainent sans emporter. A filmer de trop près, on peut perdre le fil, que le montage ne récupère pas.
Par Bernard Cassat
Les samedis des gilets jaunes. Photo JHR Films
La covid a gommé ces samedis répétitifs des années 2018 et 2019 où les manifestations violentes et les heurts avec la police terrifiaient les grandes villes. Une jeune cinéaste, Laurie Lassalle, revient sur cette période qu’elle a vécue intensément. Au cœur des manifestations parisiennes depuis le début, elle filme, notamment un jeune homme, Pierrot, dont elle va tomber éperdument amoureuse. Jusqu’à la fin, c’est à dire le début du premier confinement qui correspond au délitement du mouvement des gilets jaunes, Laurie capte les violences policières et manifestantes, enregistre les avis des uns et des autres, leurs blessures physiques et sociales, et s’attache à ce Pierrot avec lequel elle a une relation très forte.
Le film montre mais n’explique pas
Boum Boum, à la fois chronique d’une révolte et carnet intime d’un amour, est fait de ces images. Son montage mélange les deux récits, d’autant que Pierrot lui sert d’intervieweur de manifestants. Mouvement qui répète son attachement à du commun, du partagé, alors qu’il n’est qu’une somme d’individus. La profonde solitude des manifestants, les différences évidentes de motivations, de cheminements intellectuels (quand il y en a), d’idéologies pour ceux qui en développent, ressortent clairement. On savait ce mouvement très ambigü au niveau politique. Boum Boum ne clarifie rien. C’est un témoignage de l’intérieur. Les gilets jaunes déambulent dans Paris comme des révoltés perdus, sans but. Sinon s’attaquer aux riches et à la police. Leur naïveté crève l’écran. Leur colère aussi, primaire, viscérale, colère réelle et compréhensible, colère de classe enracinée dans des injustices flagrantes. Financières, de travail, mais aussi discriminatoires et racistes. Alors ils cassent, ils s’en prennent au Fouquet’s, ils pillent, ils hurlent un par un leur haine.
Beaucoup de violences, qui frisent l’insurrection. Photo JHR Films
Tout cela, on le savait. Les images prises de l’intérieur des manifestations n’éclairent pas la confusion. Les séquences sont longues, très longues, et le chaos des images, qui traduit le chaos social, est vite fatigant parce qu’il n’apporte rien de nouveau. En ressort une sorte de jacquerie moderne, des gens dont on se dit qu’ils ont de bonnes raisons de se révolter, mais qui ne savent ni les formuler, ni les agréger.
Sa chronique amoureuse, bavarde et parfois maniérée, veut apporter une dimension passionnelle et faire lien avec la révolte, le côté libertaire et jusqu’auboutiste. Mais les mots ne suffisent pas pour nous faire partager ce qui est vécu comme une illumination à la fois politique et sentimentale. Le double sens du titre ne fonctionne pas vraiment. Ca fait boum coté violences, notamment policières, mais le boum du cœur reste lointain, hors image. Surtout que l’un comme l’autre n’aboutissent pas. Le romantisme sentimental et politique est artificiel. Laurie Lassalle fait durer, entasse séquence sur séquence. Sans aucune évolution, sans raconter vraiment, au fond. Les dernières séquences auraient pu être les premières. Et ce flou n’apporte aucun élément nouveau, aucune analyse, aucune réflexion véritable sur toute cette période. Ce n’est pas le royaliste qui veut l’avènement du Christ roi qui démentira. Et on se dit, à la fin de ces presque deux heures, que cette révolte n’a pas laissé beaucoup de traces politiques ou sociales. Mai 68 avait largement fait avancer la société. Les gilets jaunes l’ont fracturée. Ce film en est un témoin involontaire.