Entre 1930 et 1964, Raymond Isidore, modeste employé communal de la ville de Chartres, entreprend de décorer sa maison et le jardin attenant ; créant ainsi un monument d’architecture naïve et d’Art brut* : la Maison Picassiette.
Par Rosa Tandjoui (CulturAdvisor)
Raymond Isidore
Né le 08 septembre 1900 à Chartres d’une famille modeste de huit enfants, il aurait perdu la vue très jeune et guérit de façon miraculeuse, à l’âge de 10 ans, en embrassant le pied du pilier Notre-Dame en la cathédrale de Chartres.
Il effectuera son service militaire dans le 3e régiment d’Artillerie coloniale à Vincennes, puis en Allemagne, où il sera canonnier ; obtenant même un certificat de bonne conduite. Exerçant désormais le métier de mouleur, il épouse, en 1924, Adrienne Rolland, lingère veuve, mère de 3 enfants, de 11 ans son ainée et dont il n’aura pas d’enfants.
À cette époque, il se rapproche des idées communistes, lit quotidiennement le journal l’Humanité, participe régulièrement aux manifestations et devient, dès 1926, conducteur de tramway à vapeur sur la ligne Chartres-Angerville.
Le 24 décembre 1929, il acquiert une parcelle de terre en friche, sans aucune commodité, rue des Rouliers (actuellement rue du Repos) et démarre seul, la construction d’une petite maison. La famille s’y installera en 1931 et il ajoutera, en 1932, deux terrains contigus qu’il transformera en potager et verger.
Complètement investi dans la construction et l’aménagement de sa maison, il vit de petits boulots, notamment celui de jardinier, mais son caractère difficile commence à lui causer du tort, notamment lorsqu’on lui propose à nouveau un poste de conducteur (les tramways étant remplacés par des autobus) et qu’il refuse de peur de renverser des piétons.
En 1935, il est embauché au dépôt d’ordures de la ville de Chartres et commence à collecter des débris de céramiques et de porcelaines, qu’il assemble pour créer les premières mosaïques qui habilleront l’intérieur et l’extérieur de sa maison.
Cette quête effrénée de morceaux de vaisselles cassées amène les habitants du quartier à le surnommer pique assiette. De plus en plus instable professionnellement, il est décrit par ses proches comme quelqu’un de simple, doux et consciencieux, mais qui peut entrer dans des colères noires s’il pense être victime d’injustice.
Dans les années 1940, des crises de démence l’obligent à subir de nombreux séjours psychiatriques et en 1949, après une énième altercation avec l’un de ses supérieurs, il est muté comme balayeur au cimetière de Saint-Chéron.
Il commence à être médiatisé dans les années 1950 ; rencontrant Pablo Picasso en 1954 et photographié par Robert Doisneau en 1956. La même année, il achète un terrain voisin et y dresse une chapelle et une maison d’été, qu’il recouvre entièrement de fresques en mosaïques. Au début des années 1960, sa santé se dégrade, il est interné à de nombreuses reprises, pour finir par décéder le 07 septembre 1964.
La Maison Picassiette
Rachetée par la ville de Chartres en 1981 ; elle est classée Monument Historique en 1983 et reçoit le label architectural Patrimoine du XXe siècle en 2017.
Dès l’entrée, des mosaïques colorées couvrent les moindres recoins des murs, sols, plafonds intérieurs et extérieurs ; preuve s’il en est de la créativité sans limites de Raymond Isidore.
La déambulation commence par la maison principale, puis la chapelle, la cour noire, la maison d’été, le jardin et le tombeau de l’esprit.
Une visite indispensable !
*L’architecture naïve et l’Art brut désignent les constructions, les productions et les œuvres de personnes autodidactes sans formation artistique, ne respectant pas, volontairement ou non, les règles et canons de la discipline en question.