Le CDN d’Orléans avait programmé cette semaine, « Comme tu me veux », pièce du dramaturge italien, écrite en 1929, dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig, Directeur de l’Odéon et ancien Directeur du CDN orléanais.
Par Bernard Thinat
Créée en septembre de l’année passée au théâtre emblématique parisien, la pièce est reprise en ce printemps à Orléans, avant de partir vers l’Italie et la Suisse, puis la saison prochaine revenir en France, pour une tournée nationale.
C’est l’histoire de Lucia, femme de la moyenne bourgeoisie italienne en Vénétie, qui disparaît au cours de la première guerre mondiale après avoir été violée par des soldats d’occupation, le domaine pillé, et que l’on pense avoir retrouvée dix ans plus tard dans un cabaret berlinois. De retour chez elle auprès de son mari Bruno et de sa famille, elle entretient le flou sur sa véritable identité, alternant le pour et le contre, mêlant la suspicion, le doute, auprès de sa famille. Tiraillée entre mari, sœur, oncle et tante d’une part qui veulent la garder, et directeur du cabaret berlinois revenu en Italie pour la reprendre accompagné par une « folle » qui pourrait bien être la vraie Lucia, mais peut-être pas, elle choisit au final de reprendre la vie berlinoise.
Lors des saluts – Photo B.T.
La pièce ne respectant pas l’unité de lieu, le 1er acte se déroule à Berlin dans le cabaret, la suite dans la riche maison bourgeoise en Vénétie. Au dernier acte, Lucia (immense Chloé Réjon) par une longue déclaration toute en finesse, jette le trouble, à la fois parmi sa famille, le directeur du cabaret berlinois, et surtout les spectateurs qui ne savent plus au final qui elle est vraiment. Chef d’œuvre de brouillage des pistes, ici Chloé Réjon, ou plutôt Luigi Pirandello, est digne d’éloges dans ce labyrinthe des suppositions, hypothèses qui ne permettent pas de connaître la vérité. Entre ces deux femmes, la chanteuse de cabaret ou la « folle », quelle est la bonne Lucia, s’il y en a une ?
Le personnage de la Folle interroge : Pirandello lui a-t-il assigné une métaphore ? Celle de la barbarie de la 1ère guerre mondiale, celle des atrocités ? Braunschweig le pense en parlant de « ce passé refoulé qui refait surface, celui qu’on préfèrerait ne pas voir… ». A moins que ce personnage de Folle (nous sommes en 1928) n’annonce cette autre barbarie, qui si à cette date ne pointe pas encore à l’horizon, n’en possède tous les prémices.
La troupe réunie par le Directeur de l’Odéon, une dizaine d’actrices et d’acteurs, forme une redoutable équipe parfaitement complémentaire. Au centre, Chloé Réjon comme déjà dit, rayonne, tant dans le cabaret berlinois qu’au final au milieu de celles et ceux dont elle se joue pour mieux semer le doute. Claude Duparfait, qui d’ailleurs travaille avec Stéphane Braunschweig depuis fort longtemps, est un Directeur de cabaret/écrivain raté dixit Lucia, parfaitement retors dont le seul but est de conserver la jolie femme pour son business personnel et plus encore. Il me faut aussi citer Sharif Andoura, l’ami du Bruno, celui qui déniche la supposée Lucia dans le cabaret berlinois, un acteur formidable qui en impose lourdement sur le plateau d’un théâtre.
Entre les actes, sur un écran géant, d’anciennes vidéos défilent, montrant les ruines de la guerre en Vénétie, et la montée du fascisme dans ce pays transalpin, avec Mussolini haranguant la foule énorme. Même si la scénographie a été créée avant la guerre en Ukraine, le spectateur ne peut pas ne pas faire le rapprochement, avec l’arrivée au pouvoir de dictateurs en Europe, et leur « résistible ascension » dans quelques autres pays.
Enfin, il y a ces tentures géantes qui entourent le plateau, et qui se fracassent au sol, remplacées par d’autres descendant des cintres, mais de couleurs différentes, afin de marquer les étapes du cheminement intérieur de Lucia, et au final le plateau nu quand tous s’échappent par les coulisses laissant la tante et la Folle, seules, abandonnées.
Applaudissements très nourris au final, et très mérités pour toute la troupe ainsi que pour le metteur en scène présent sur la plateau.
Interview de Stéphane Braunschweig accordée à MagCentre à suivre…