Le billet de Joséphine : le casse-tête des législatives à Tours

 

Même si depuis deux semaines, les leaders politiques locaux ont mis en avant dans leur communication la priorité absolue du barrage au Rassemblement National, les grandes manœuvres pour les législatives vont déjà bon train en Touraine, notamment dans la première circonscription d’Indre-et-Loire, celle qui recouvre plus ou moins le territoire de la commune de Tours. Cette circonscription stratégique a la réputation d’être la plus à gauche de la région et suscite donc les appétits, tout en faisant office de test pour la majorité plurielle du maire écologiste Emmanuel Denis, élu en 2020 à la tête d’une union unique en France de LFI au PS en passant par des radicaux de gauche, génération écologie, EELV et une liste dite citoyenne.

Par Joséphine

Charles Fournier François Bonneau

Dès l’été dernier…

Les premiers à dégainer, et ce dès l’été dernier ont été les socialistes et les écologistes, dans la foulée des régionales. Encore au sommet de sa gloire, Cathy Münsch-Masset, la première adjointe socialiste de Tours entendait devenir députée en misant alors sur sa notoriété et en pariant que les autres partis de gauche n’oseraient pas présenter quelqu’un contre elle pour ne pas affaiblir la majorité plurielle.

De son côté, l’écologiste Charles Fournier, deuxième vice-président chargé du climat au Conseil Régional du Centre Val-de-Loire songeait depuis un moment à quitter l’exécutif régional, même fraîchement réélu en 2021, notamment à cause de relations exécrables avec François Bonneau, le président PS de la région. En janvier dernier, Fournier revenait s’installer à Tours, quittant son Loir-et-Cher d’adoption, et alertant par-là les socialistes qui craignaient un parachutage dommageable pour leur stratégie.

L’histoire en aura voulu autrement, avec la mise hors jeu de Cathy Münsch-Masset à cause de l’affaire des détournements de fonds d’une association d’accompagnement des handicapés de son mari, affaire lui ayant valu une condamnation à de l’inéligibilité en première instance en mars dernier. Dès lors et jusqu’à peu, Fournier pensait la voie libre et commençait à constituer son équipe de campagne, regardant tout de même avec méfiance sur sa gauche à partir de mars, vu la montée dans les sondages de Jean-Luc Mélenchon, notamment avec la dynamique de vote utile qui risquait de vider le réservoir de Jadot et de casser les perspectives des écologistes pour la suite.

Les sondages catastrophiques pour Hidalgo

Dépassés par les événements et par les sondages catastrophiques pour Hidalgo, les socialistes ont décidé de reprendre l’initiative début avril et le PS de Tours – enfin, les dix derniers membres qui le composent – a décidé d’investir Eric Thomas, l’adjoint aux sports de l’équipe Denis. Le PS lance dans la foulée l’idée d’une primaire locale pour les législatives, jouant habilement de la peur d’une dispersion des votes qui, en plus de coûter la circonscription, pourrait mettre une sale ambiance dans la majorité municipale à Tours. Fournier ne ferme pas la porte à cette option, LFI se défausse poliment, renvoyant à de futurs accords nationaux à passer entre partis après les présidentielles.

Seulement patatras, au soir du 10 avril, les résultats à Tours sont sans appel : Macron et Mélenchon sont à égalité avec 30% des voix, Jadot dépasse péniblement les 6%, Hidalgo et Roussel sont balayés.

Là, les choses se compliquent avec une double logique, au national et au local. Dans leurs sièges parisiens, les partis de gauche sont fracturés au sujet de la stratégie à suivre : au PS la ligne modérée Hidalgo-Delga-Hollande est aux fraises et Olivier Faure souhaite donner un coup de barre à gauche pour éviter le naufrage définitif, quitte à assumer de discuter avec LFI. Au local, les socialistes sont divisés entre quelques éléphants incapables de se remettre en question et qui ressassent avec nostalgie la grandeur passée, quelques jeunes qui veulent sauver les meubles et leurs perspectives et enfin quelques malins, comme le revenant Laurent Baumel, qui tentent un coup de poker, poussant à un désistement du PS sur la première circonscription en échange d’une place éligible ailleurs dans le département.

EELV: des logiques fratricides

EELV est aussi prise dans des logiques fratricides, la ligne droitière Jadot-Bayou doit passer à la caisse et assumer son échec patent, laissant de l’espace à la ligne Rousseau-Piolle, plutôt favorable à une alliance avec LFI. Fournier et Denis ne cachent pas leur sympathie pour Piolle et ne veulent surtout pas courir le risque que les écologistes prennent une veste sur Tours, affaiblissant la majorité municipale et hypothéquant l’avenir d’une dynamique unitaire à gauche. Depuis deux semaines, quasi-silence radio d’EELV, visiblement K.O debout et en attente de clarifications sur la stratégie nationale. Fournier semble de plus en plus en retrait et Denis a juste co-signé une tribune avec d’autres maires écologistes pour appeler à l’union de la gauche pour les législatives.

De son côté, LFI est dans une position finalement assez délicate : une partie des militants a mal vécu les attaques incessantes d’Hidalgo, Jadot et Roussel à propos de Mélenchon et les tensions au local sont palpables. Forts des résultats sans appel du premier tour, certains entendent rafler la mise et se poser en leader naturel de la gauche, envoyant au diable les concessions. Au national, plus réaliste, LFI entend fédérer la gauche dans une structure souple nommée Union Populaire, jouant des fractures des autres partis pour mener le jeu. Pour l’heure, des accords sont passés avec le NPA et bientôt le PCF, c’est plus compliqué avec EELV et presque impossible avec le PS mais on ne connaît pas au local quelles seront les répercussions de ces négociations ni non plus les effets de la promesse de parité, alors même que les candidates sont peu nombreuses. En tout cas, lors de la dernière assemblée générale LFI de circonscription le mercredi 20 avril, avec l’euphorie du score de Mélenchon, plusieurs candidatures « spontanées » d’illustres inconnus sont apparues pour la première circonscription, dont certaines sentaient la manœuvre à plein tube, en un processus assez brouillon qui montre les limites de l’horizontalité du mouvement et qui rappelle assez cruellement les pratiques du PS de la grande époque.

Pour les communistes, sauver les meubles

Les communistes, enfin, après une campagne assez lunaire avec un Fabien Roussel en réincarnation de George Marchais, entendent sauver les meubles dans le coin, alignant des candidats dans pas mal de circonscriptions, dont la première, dans l’espoir de faire monter les enchères avant de se désister et d’obtenir une place éligible pour le jeune espoir Léonard Léma sur la circonscription de Saint Pierre des Corps, ancien bastion communiste perdu aux municipales de 2020 à cause de divisions qui n’ont visiblement toujours pas servi de leçon.

En tout cas, l’option de la primaire, coûteuse et difficile à mettre en place semble désormais abandonnée, notamment pour son manque de lisibilité politique et pour le petit arrière-goût de manœuvre politique de l’ancien monde.

Tout est encore bien flou pour l’heure mais on semble se diriger vers un joli gâchis avec un personnel politique qui n’aura pas entendu la puissance de la dynamique unitaire à gauche qui, si elle ne s’est pas faite sur le papier, s’est faite concrètement par le vote utile massif envers Jean-Luc Mélenchon le 10 avril. Mais l’inertie des appareils et les ambitions des uns et de autres sont encore puissants.

Dommage, car les sondages confidentiels commandés par un parti à Tours et dont j’ai pu me procurer une copie montrent sans ambiguïté que la première circonscription d’Indre-et-Loire, ainsi que les trois suivantes sont tout à fait gagnables par une gauche unie.

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