Homme du milieu cinématographique, André Bonzel a eu une carrière plutôt discrète, bien qu’il soit un fou de cinéma et qu’il travaille dans ce secteur depuis tout petit. Et j’aime à la fureur raconte sa vie et sa passion des images, celles de sa famille mais pas seulement. Et son montage de bouts de films familiaux pose les questions importantes de la transmission que portent en elles les images du passé.
Par Bernard Cassat
André Bonzel est né dans une famille qui a toujours eu entre les mains des caméras. En amateur, bien sûr. Ses oncles, ses grands parents, ses aïeuls ont faits des films de leur famille, de leur environnement. De plus, ils étaient gens assez originaux, avec des vies mouvementées. André lui-même est tombé tout petit sous le charme du cinéma. Il a collectionné les pellicules amateurs, les a conservées, recherchées. On sait qu’après une école de cinéma en Belgique, l’Insas, où il a rencontré Rémy Belvaux et Benoit Poelvoorde, il a réalisé avec ces deux compères C’est arrivé près de chez vous, un film parodique passé avec succès à Cannes en 1992. Mais on n’en sait pas vraiment plus sur sa vie.
Film de montage avec beaucoup de ressources
Et j’aime à la fureur est un film de montage de bouts de ces films familiaux, avec lesquels justement il vient aujourd’hui nous raconter sa vie. Et c’est passionnant. Il n’y a pas que des bouts de films de sa famille. Une famille bretonne qui part en vacances sur la cote d’azur, et dont la fille d’une dizaine d’années est le sujet récurrent dans les paysages nouveaux, forme le noyau de départ. Ces images noir et blanc, en super huit, au format carré et légèrement passées, qui doivent dater des années cinquante, qu’il a récupérées encore adolescent, lui permettent de poser en commentaire toutes les questions du cinéma, le temps qui passe et que les images retiennent, la nostalgie contenue dans ces documents du passé, la tendresse filmée qui se dégage des gestes ou des visages sur la pellicule. Et qu’on ne voit pas forcément, qu’on ne vit pas forcément sur le moment.
A partir de cela, il déroule des vies de gens qu’il a connus ou non, des oncles, surtout un grand oncle devenu riche industriel et cameraman à ses heures perdues, personnage original et important puisque directeur d’usine. Sa tante aussi, montée à Paris comme call-girl ou danseuse dans des bars de french-cancan, ses amies fixées sur la pellicule, leur joie, leur rire, leur légèreté. A l’opposé de la rudesse de son père, lui aussi sur la pellicule. André Bonzel découvre avec étonnement un geste de tendresse de son père envers lui. Alors qu’il raconte par ailleurs sa froideur, la distance entre eux qu’il n’a jamais su combler. Les films mentent, donc ? Bonzel montre aussi beaucoup de séquences de filles qu’il a connues, ses copines du moments, qu’il filmait pour les draguer. Des visages, des images à la sauvette, des attitudes de dénégation lorsqu’elles s’en aperçoivent, puis de jeu lorsqu’elles acceptent d’être filmées. Quelques images de ses amis, dont les deux compères de C’est arrivé, un Poelvoorde tout jeune et à la parole déjà bien accrochée. Jusqu’aux images de celle qui deviendra sa femme.
C’est donc vraiment sa vie qu’il raconte. Avec un jeu complexe de citation empruntées à différents films par forcément amateurs. Il s’amuse à illustrer la narration de la bande son : une voiture de course lorsqu’il va vite, des rondes lorsqu’il parle de la danse. Des rondes justement qui montrent aussi que les thèmes des films d’amateurs sont à la fois intimes et universels. Il raconte sa vie, avec même des détails tout à fait confidentiels, mais on se retrouve dans cette narration. Les images proposées nous permettent de faire des liaisons avec nos propres vies, nos propres souvenirs, nos évocations du passé.
Et les questions que posent toutes les images, les souvenirs, leur usure, leur distance par rapport à la réalité d’alors. Depuis l’entrée du train dans la gare de La Ciotat en passant par les malicieuses arroseuses arrosées, les images ne cessent de s’accumuler sans pour autant que l’une efface l’autre. Parce que chacune porte une partie de la transmission globale que le cinéma fait du monde. La pierre Bonzel continue l’édifice.
Et j’aime à la fureur
Montage : André Bonzel, Svetlana Vayblat, Thomas Marchand
Bande son : Benjamin Biolay
Production : Les Films du Poisson