« Clin d’Œil » à tous les fous de théâtre #1

MagCentre a rendu visite au Théâtre Clin d’Œil à Saint Jean de Braye, et rencontré son fondateur, Gérard Audax, ainsi que sa fille qui reprendra un jour ou l’autre la direction artistique du lieu. Tour d’horizon des diverses activités théâtrales et littéraires, et quelques mots sur les prochains festivals de la Compagnie.

Propos recueillis par Bernard Thinat

MagCentre : Gérard, quel a été le parcours du comédien et metteur en scène que tu es devenu au fil des ans ?

GA : Cela remonte à loin. Dans deux ans, je vais fêter un demi-siècle de comédien, je ne l’aurais jamais cru ! J’étais à l’école normale d’instituteurs, et avec les CEMEA, je suis devenu instructeur et suis allé au Festival d’Avignon, j’avais 18 ans. On organisait des rencontres avec Béjart, Mnouchkine, Dario Fo. Et là, j’ai découvert le métier de comédien. Celui d’instituteur est un métier merveilleux, mais je n’étais pas fait pour la file d’attente des habitudes, les mêmes horaires tous les jours, j’aime bien vivre dans un équilibre fragile. Je suis un féru du festival d’Avignon : j’y suis donc allé à 18 ans et y suis retourné tous les ans, sauf en 2020 comme on sait. Je suis arrivé au théâtre par la poésie. Ma famille n’était pas du tout théâtre, mon père était cantonnier, et ma mère femme de ménage n’a jamais su lire. Il y avait donc bien peu de livres à la maison, mis à part le Chasseur français. Je vivais dans un petit village dans le Berry et je passais mon temps à lire, ce qui me permettait de jeter un manteau de poésie sur le quotidien. Robert Doisneau a écrit : « Susciter, c’est créer ». J’aime bien les nouvelles qui sont courtes. Eugène Guillevic disait : « Ecrire court pour en dire long ».

Gérard Audax – Photo B.T.

MagCentre : Tes débuts au théâtre se sont passés comment ?

GA : J’ai commencé ici par le théâtre amateur alors que j’étais à l’école normale, c’était un centre culturel, j’y ai d’ailleurs rencontré mon épouse qui était professeur de danse. Ensuite, il y a eu le Mobil Théâtre, puis j’ai ouvert avec Patrice Douchet le Théâtre de l’Escarpolette à la Chapelle-Vieille à Saran. On s’est ensuite séparé et  j’ai fait l’école Charles Dullin. Le théâtre et la littérature, c’est mon oxygène, grâce au théâtre, j’ai voyagé, pas que physiquement,  j’ai voyagé aussi à travers les auteurs, tantôt Tartuffe en alexandrins, ou Guillevic en poésie, en chansons avec Brassens. Se mettre au service des mots des autres, ça permet d’apporter ses émotions, sa sensibilité, ses colères, ses tristesses…, on parle plusieurs langues, on est un peu polyglotte.

MagCentre : Venons-en maintenant à ta Compagnie Clin d’Œil…

GA : Après une période d’aventures autogestionnaires, j’ai eu envie de créer ma propre compagnie, ce qui avait l’avantage que tous les spectacles où je jouerais, je les aurais choisis, et je pourrais les revendiquer. Le Maire de Saint Jean de Braye de l’époque, Jean-Pierre Lapaire m’a proposé de m’installer dans ce lieu en 1986.
Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de création artistique sans action culturelle, sinon on se retrouve entre initiés, tel un cénacle littéraire. C’est pourquoi nous intervenons dans les collèges, lycées, CFA, c’est aussi pourquoi nous avons une grosse école de théâtre, avec 140 élèves, enfants, ados, adultes (avant Covid). Clin d’œil, c’est un peu tout ça. Mais surtout, c’est un outil : tous les jours, il y a des gens qui répètent ici. Quand je rentre dans un lieu culturel et qu’il y a un calme qui ressemble à un hall d’hôpital, je me dis que la culture est malade. Ici, il y a de la musique, des marionnettes, de la danse, du théâtre… Tous les lieux culturels devraient être une ruche, que ça travaille, que ça butine, que ça ramène du pollen…

MagCentre : Tu peux nous parler de tes plus belles rencontres ?

GA : Eugène Guillevic évidemment, et d’autres. Je les appelle mes professeurs de bonheur. Dario Fo aussi, que j’ai rencontré grâce à mon ami Jacques Fabri, et Maurice Baquet qui était violoncelliste, acteur, alpiniste, il y a même une voie qui porte son nom dans l’aiguille du Midi, chanteur d’opérette,et Président du Beaujolais. Je l’ai rencontré au café du théâtre d’Orléans, de la même façon que Philippe Caubère. C’est Maurice Baquet qui m’a fait rencontré Robert Doisneau. J’ai deux grands amis qui me manquent énormément, Jean-Louis Derenne et Jacques Trupin, le bandonéoniste. Ce sont des potes avec lesquels j’ai eu des aventures humaines extraordinaires, on pouvait toujours avec eux parler de choses sérieuses, mais sans gravité. C’est la politesse de l’humour.

MagCentre : Si tu avais un spectacle que tu garderais en mémoire, ce serait lequel ?

GA : Il y a celui de l’Opéra Comique, « Bonjour Monsieur Satie ». Cela a été un grand moment. Je rentre en scène, seul pendant cinq minutes. Après, entre Jean Babilée, le danseur étoile, puis Maurice Baquet. On entrait tous en disant : « Je m’appelle Eric Satie comme tout le monde ». Il y a aussi le premier spectacle que j’ai joué sur Guillevic, mis en scène par Jacques Fabri. On l’a joué plus de 200 fois, y compris à l’étranger, il avait été créé au théâtre du Tourtour à Paris. Les gens venaient car il y avait le nom de Jacques Fabri, et ils écoutaient de la poésie. J’aime bien les mélanges incongrus.

MagCentre : Tu peux nous dire quelques mots sur les sons et lumières à Saint Jean de Braye ?

GA : Sur les sons et lumières, j’ai monté « le Songe d’une nuit d’été », « le Tour du monde en 80 jours ». Les gens venaient voir de grands spectacles, il y avait 150 personnes sur le plateau, cela a duré 15 ans. Mais ce n’était pas une « duperie-fouterie », en même temps, ils écoutaient du Shakespeare, du Rabelais, du Jules Verne. J’aime bien ce théâtre populaire cher à Vilar, pas populiste ! Aurélie Filippetti disait « la culture, c’est le disque dur de la politique », et c’est tellement vrai. Plus les gens sont cultivés, moins ils se dirigent vers l’obscurantisme de Zemmour.

MagCentre : Parlons du Festival d’Avignon, si tu veux bien…

GA : J’y vais depuis 1972, chaque année, cela fera 50 ans en juillet prochain. Avec la Compagnie Clin d’Œil, quand je monte un spectacle là-bas, je n’y vais pas en me disant : « J’ai l’argent, je loue un lieu ». Je ne joue que dans les théâtres conventionnés, et ce sont les Directeurs de ces théâtres qui choisissent les spectacles. Il y a quatre ans, j’ai monté « les Migrants » au Chêne Noir. Quand Vilar s’entourait de vedettes du théâtre, Gérard Philipe, Jeanne Moreau, Maria Casarès, les gens venaient peut-être voir des idoles, des stars, ils venaient voir aussi le Soulier de Satin, Richard II, le Cid, le Prince de Hombourg ou Dom Juan. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, je pense que c’est un manque de courage. Je crains que le Off se privatise de plus en plus avec de gros producteurs parisiens qui achètent des lieux sur Avignon, ce ne sera plus un lieu de rencontres théâtrales. Autrefois, c’était un tremplin pour de jeunes compagnies, aujourd’hui c’est très difficile. On dit que le théâtre, c’est le mariage du silence et de la parole, mais maintenant, il n’y a plus de silence à Avignon. C’est devenu une grosse entreprise commerciale, un marché, et ce n’est pas le but du théâtre.

(à suivre…)

Aller sur le site de la Compagnie

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Commentaires

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  1. Mon cher Gérard, tu me manques ici à Vence, ville des Arts et de la Culture, notre voyage en Roumanie en convoi humanitaire reste gravé dans ma mémoire et nos différences en politique ne nous ont jamais gênées. C’est pourquoi je me permets de te faire remarquer l’emploi de cette phrase ci-dessous, comme étant le plus bel oxymore de cette campagne présidentielle. Je t’embrasse et j’espère à bientôt.
    “Aurélie Filippetti disait « la culture, c’est le disque dur de la politique », et c’est tellement vrai. Plus les gens sont cultivés, moins ils se dirigent vers l’obscurantisme de Zemmour.”

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