La campagne de France, un jeu de personnalités

Indre-et-Loire, 2020, juste avant le confinement. Le petit village de Preuilly-sur-Claise, 1007 habitants au fin fond de la région Centre, va élire son nouveau maire. Sylvain Desclous, un enfant du pays, s’installe dans le village pour filmer la campagne. Ou plutot les candidats. Cinéaste de fiction, Sylvain tire son docu vers le portrait. Et nous livre un témoignage magnifique sur les hommes politiques des petits villages, qui ne sont pas si politiques que ça, quoique…

Par Bernard Cassat

Mathieu, tête de liste, vient convaincre tous les habitants, même en anglais lorsqu’ils sont Britanniques. Photo The Jokers

Lors de la discussion à l’avant première au cinéma Les Carmes, mardi 15 au soir, Sylvain Desclous nous a raconté comment son film s’était construit peu à peu. Il connait parfaitement Preuilly-sur-Claise, puisqu’une partie de sa famille y habite et qu’il a passé toutes ses vacances d’enfant dans ce village. Il voulait s’intéresser à l’élection du maire, en 2020. Le maire sortant ne se représente pas, et il n’y avait au départ que deux listes, très classiques l’une comme l’autre. Mais alors qu’il était déjà installé avec sa petite équipe, un troisième homme est entré dans le jeu, tête d’une liste qui contenait aussi un villageois très marquant, Guy Buret, une figure dans ce village. Et là, Desclous a su qu’il tenait son film.

Sans le souci des documentaristes-sociologues, qui cherchent à expliquer les choses, Sylvain, cinéaste de fiction, a tiré son film vers ce couple improbable : le jeune Mathieu Barthélémy et son co-équipier Guy. Tout deux méritent en effet ce regard. Mathieu est un enfant du pays, parti faire Normale Sup puis qui a travaillé dans la région parisienne, et revenu au pays récemment pour travailler en télétravail dans son domaine, l’intelligence artificielle. Il se présente aux électeurs de Preuilly comme entrepreneur-chercheur. Ses cheveux longs, son regard désarmé et son comportement presqu’enfantin ne traduisent pas toujours sa très grande intelligence. Et comme Sylvain l’a saisi au tout début de sa démarche, on va le voir tatonner, hésiter, travailler pour avancer des idées tout à fait convaincantes. En cinéaste qui connait la musique, Sylvain Desclous s’attache à son personnage dans des images qu’on dirait créées comme dans une fiction, alors que ce n’est pas la cas. Mathieu en manteau marchant vite dans les rues désertes du village, le soir, ses cheveux évoquant un troubadour moderne ; ses maladresses sympathiques ; sa proximité avec son père en maison de retraite, qui fut le photographe du village et duquel il se réclame souvent. Pour le spectateur qui ne connait pas Preuilly, il devient véritablement un acteur plus qu’attachant.

Un deuxième personnage, et non des moindres

Son coéquipier Guy est d’une autre trempe. Grande gueule, anticlérical viscéral et homme de gauche qui ne mâche pas ses mots, il joue aussi du cor et frime en coupé Mercédès. Ce qui ne l’empêche pas de tracter et d’aller coller des affiches.

Les problèmes de Preuilly sont ceux de tous les petits villages, sauf celui, spécifique et insupportable, des camions. Des centaines de gros tonnages passent dans le village où ils n’arrivent pas à se croiser. Les tentatives de déviations ont toutes échoué pour l’instant. Les trois listes tentent de répondre à ce problème, celle de Mathieu semblant avoir trouvé la meilleure solution. De plus, il apporte plusieurs arguments pertinents pour lutter contre la désertification. Ce n’est pourtant pas lui qui sera élu ! En tant que chef de liste, il siègera tout de même au conseil. Mais pas Guy, qui en pleure le soir des résultats. Scène profondément émouvante. Cet homme a loupé sa dernière chance. Très grosse déception !

Mathieu et Guy se retrouvent l’été d’après l’élection pour continuer à partager. Photo The Jokers

A l’opposé du documentaire sociologique, qui n’intervient pas dans la réalité, Sylvain a eu conscience de l’effet de sa présence. Et en a joué. A aucun moment il n’intervient à l’image. Mais toute sa technique cinématographique lui permet de monter un film qui raconte une histoire, celle de l’outsider. L’image du début et celle de fin qui lui répond, sa voiture qui arrive et repart de Preuilly, comme la Jeep de Tintin, place tout de suite le film dans la narration. Qui n’est pourtant pas fictive ! Ce regard totalement original apporte sans doute plus qu’un œil sociologique neutre. Parce qu’il cherche la relation, donc l’émotion. Et l’énergie. Sylvain montre ainsi très profondément la France des villages, en évitant les écueils de la politique pour s’attacher aux personnes, en cherchant toute la fiction que chacun développe dans la réalité. Et c’est formidable !

La campagne de France

Réalisateur Sylvain Desclous

Ingé son Alexis Farou

Directeur photographie Jean-Christophe Beauvallet

Monteur Isabelle Poudevigne

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