Les Performances 2022, c’est fini ! Un événement incontournable de dix neuf spectacles programmés par la Scène nationale, à qui le regroupement dans un même cadre donne un force importante, sans pour autant les banaliser. D’ailleurs la plupart, et c’est un peu leur caractéristique commune, sont inclassables. Le corps est très présent, la musique aussi. Mais surtout l’inventivité et la réflexion des artistes contemporains.
Par Bernard Cassat et Bernard Thinat
Dalila Khatir et David Wampach. Photo Angelique Pichon
Jeudi, à 20h, on devait partir pour l’Algérie. David Wampach a fait appel à la performeuse et chanteuse Dalila Khatir pour évoquer leur pays d’origine commun. Espace bien marqué, une table. Jeu de mains sur un rythme de tambour nord-africain. Et puis des variations, une ouverture d’espace, des tissus moirés qui reflètent la lumière. Un chant profond de Dalila, un jeu de costumes du noir au scintillement. Les images sont parfois belles, évocatrices. Mais le propos reste mystérieux. Etrange cérémonie qui nous laisse en dehors, et dont l’allégresse promise dans le titre ne passe pas la rampe. De l’Algérie, nous n’aurons que des cartes postales un peu vides. Le couple a installé quelque chose, un espace, un rituel, mais n’a pas abouti…
La femme du diable ou celle d’Adam ?
Et puis à 22h, Marion Blondeau s’est lancée dans le mythe de Lilith. Dans un décor de sucre glace, en plastique blanc lisse, elle apparaît, disparaît, se dénude, devient chienne, devient guenon, copule à tout va dans des réflexes incontrôlables et sabbatiques, puisqu’elle est la femme du diable. Elle tourne autour de sa niche, y rentre, s’en éloigne. Veut-elle marquer son animalité, ou bien sa domestication ? On ne sait pas trop si elle est submergée par l’instinct ou réduite à ses pulsions dans une cage glacée comme le blanc du plastique qui l’entoure. Etrange moment à la fois extrême comme sa nudité, à la fois vide, seulement rempli par une sécrétion rose. Expression ironique de sa féminité ? Est ce une dénonciation, un constat, une libération ? Adam est-il le dompteur caché derrière cette domestication ? La séquence finale, totalement réussie, transforme Lilith et sculpture de Louise Bourgeois, panoplie de seins et socques hautes. La scène devient enfin profonde, colorée et veloutée. L’art est-il la réponse ?
John Cage et ses pianos préparés
Vendredi, Bertrand Chamayou s’est attelé à ses quatre pianos pour jouer en entier les douze pièces de Bacchanale. John Cage était vers la fin des années 30 accompagnateur au piano de classes de danse. Une chorégraphie de son amie Syvilla Fort doit se dérouler dans un petit théâtre incapable d’accueillir plusieurs musiciens. Il construit donc douze pièces pour pianos préparés, les premières de l’histoire de la musique. Il cherche surtout un effet percussif en plaçant des objets sur les cordes. Pour retrouver cette expérience, Chamayou a monté un spectacle avec la chorégraphe et danseuse Elodie Sicart. Pendant une heure et demi, ils vont dérouler cette expérience fondatrice. Bertrand joue sur quatre pianos qu’Anna Paolina Hasslacher, prépare à tour de rôle. Musique envoûtante, sons étranges, prenant. La rythmique est évidemment mise en avant. Le thème de la mesure, exploité aussi par Elodie, capital. On croit parfois entendre l’horloge comtoise. Le temps en tout cas est à l’œuvre, temps musical mais temps réel aussi. La vraie performance ici est évidemment la musique elle-même.
Just Us !
Samedi soir, Sandra Calderan et sa Compagnie des Hauts Parleurs basée en Haute-Garonne, nous ont éblouis avec Just Us, spectacle co-produit par la Scène nationale d’Orléans et dont c’était la Première en création. Aux confins des arts vivants, théâtral, chorégraphique, circassien, musical et poétique, les cinq artistes (3 filles et deux gars), tout de noir vêtues, ont créé un espace de plaisir partagé entre eux et un public ravi. Composés de tableaux successifs, tantôt ils nous racontent leurs vies (ils sont jeunes, mais ont déjà plein de choses à partager). Celle dont la 1ère manif, jeune môme, a consisté à crier « Bayrou démission » jusqu’aux manifs féministes qu’elle a quittées parce qu’on excluait les femmes lesbiennes, trans ou voilées. Alors elle et d’autres ont manifesté en marge. Ou celui, trans, condamné par la justice parce qu’il a eu une réaction « disproportionnée » face à une agression physique, et qui nous raconte la nasse dans laquelle il s’est retrouvé un jour à Nation. Cela nous glace !
Les cinq artistes de la Compagnie des hauts parleurs. Photo Bernard Thinat
A droite sur le plateau, une vieille 403 brinquebalante, phares allumés, c’est l’abri des cinq, refuge au sein duquel ils et elles racontent, chantent, dansent. On aura été bluffé par la prestation de l’une d’elles, au sein de la 403, chantant, slamant, s’extrayant de la voiture par les vitres, dansant, puis retournant à l’intérieur. Sans oublier le sportif, grimpant sur un mât vertical, et tenant des équilibres incroyables.
Mais au-delà des textes poétiques d’une très grande beauté littéraire et signés Sandra Calderan, il s’agit bien d’un message éminemment politique que la Compagnie présente sur scène, celui de la défense des droits des LGBTQ… dont ils font plus ou moins partie, et c’est un message follement applaudi par le public présent en nombre. Au final, avant une dernière danse en vêtements queers, ils ont déployé une banderole en fond de plateau : « Pour nous, vivre c’est lutter. Nous choisissons de vivre ». On ne peut que souscrire !
Une très bonne édition 2022
Sur un « partage d’expériences joyeuses et subversives », un set électro de clôture, la session des performances a baissé son rideau. Dix neuf spectacles en quinze jours ! Dur à définir précisément, ce mot Performance venu de l’anglais fait appel, pour son emploi artistique, à l’extraordinaire et à l’exploit. Quelque chose d’inhabituel, d’inclassable, de jusqu’auboutiste. Des tentatives d’aller là où le spectacle habituel n’ose pas s’aventurer. Cette année, une fois de plus, le corps et la musique ont dominé. Corps féminins, surtout, qui montraient, expliquaient, décortiquaient ou dénonçaient. En cette période ou les femmes luttent pour être pleinement elles-mêmes, chaque performance a amené sa pierre. Qui prend tout son sens dans le cadre offert par la Scène nationale. Regrouper ces spectacles étranges et disparates est aussi une manière de réfléchir sur la culture, d’observer les tendances des artistes actuels, de constater les recherches et de leur offrir un cadre pour s’exprimer.
Devant un public assez nombreux qui a su apprécier !
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