Orléans: les corps noirs ouvrent le bal des Performances

En ouverture de ces douzièmes Performances à la Scène nationale d’Orléans, Rébecca Chaillon et ses interprètes sont entrées dans le vif du sujet. Les Performances ont toujours été très habitées par le corps. Les huit femmes noires ont imposé le leur avec puissance, combattant en presque trois heures les violences subies depuis des siècles. Elles ont affirmé que oui, les vies noires, les corps noirs comptent.

Par Bernard Cassat

La nounou noire promène ses poupons. Photo Vincent Zobler

Tout est blanc sur scène, et une technicienne de surface, noire bien sûr, lave et relave le sol dans une forte odeur d’eau de Javel. Rébecca Chaillon, puisque c’est elle, s’investit au point de frotter avec ses propres vêtements, puis avec sa propre peau. Jusqu’à se frotter elle même. On est entré dans la performance. Les femmes noires tressent souvent leurs cheveux. En une longue séquence de coiffeur, cette reine noire et nue va être lavée de la crasse blanche qui la recouvrait et recevoir de longues tresses-cordages.

Une suite de tableaux

Tout le spectacle est une suite de séquences, de tableaux. Chacun rappelle, décrit ou se moque d’un aspect de la condition de femme noire. Actuellement, mais aussi dans l’Histoire qu’elles ont traversée. Avec de belles trouvailles visuelles, des trouvailles de spectacle. Nounou méprisée et exploitée, l’une d’elle récolte des dizaines de poupons sur des supports qu’on lui a fixés. Un repas à huit donne l’occasion de patauger dans la vulgarité, puisque le racisme est toujours vulgaire, de tordre le langage et d’ironiser sur les expressions tournant autour de la couleur noire ou du chocolat, couleur d’excrément. Gamines, elles jouent à pipi-caca en s’enduisant de chocolat. Ou de mélasse, puisqu’on les utilisait dans les plantations de cannes à sucre. Ou de café, puisqu’il pousse dans les pays noirs et que la publicité s’est souvent servi du racisme. Avec à chaque fois des effets visuels qui théâtralisent le propos.

La constante présence du corps

Dans tous ces tableaux, la présence des corps est essentielle. Dénudé, enduit de sucre, de café, de lait, de chocolat, de mousse, le corps noir est le pivot performatif. Violenté aussi, puisque telle a été son histoire. Ce qui n’empêche pas deux corps nus de s’enlacer et de danser un slow, en racontant aussi la douceur du désir lesbien entre deux corps semblables, de couleur et de corpulence.

Le dernier tableau, magnifique idée de scénographie, dresse un arbre dont le tronc est les cheveux de la reine nue. Accrochées à un filet, les tresses-cordages dessinent la généalogie des femmes noires. Un très beau discours poétique, presque à la manière du slam, raconte cette incroyable descendance de femmes noires, de vie transmise par les femmes noires. Et les huit comédiennes se regroupent au pied de cette généalogie, comme nouées à ces origines, et attendent, immobiles, que le public s’en aille.

L’outrance comme dénonciation

Il y a dans ce spectacle énormément d’outrance. Tout est beaucoup, tout dure, parfois trop. Le nettoyage du début, le nettoyage au milieu. Le jeu par équipes qui fait deviner des mots liés à la condition noire. Il fallait bien sûr trouver des moments plus faciles, plus drôles. Mais ils deviennent parfois trop faciles. La lecture des petites annonces chez le coiffeur, par exemple. Déjà maintes fois utilisé. Ou la séquence du jeu beaucoup trop longue. On peut se dire que cela participe de l’outrance. On peut aussi s’ennuyer à ces moments là. Il n’empêche. La performance, exigeante pour les huit actrices, est une superbe mise en théâtre d’une revendication essentielle, celle d’êtres humains qui ont trop subi. En tant que noirs et en tant que femmes. Ce n’est pas une revanche, le problème est encore trop présent. Juste une tentative d’exorcisation, d’explicitation pour agir sur la trajectoire à venir. Et surtout vivre ici et maintenant avec toute la puissance et l’éclat de leurs corps. Qui sont magnifiquement rayonnants.

 

Carte noire nommée désir

Compagnie Dans Le Ventre
Texte, mise en scène Rébecca Chaillon
Texte Je ne suis pas votre Fatou par Fatou Siby
Interprétation Bebe Melkor-Kadior, Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband en alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby

Deux expositions

Photo La Fille Renne

Pendant toute la durée des Performances, deux expositions sont visibles sur la galerie du théatre avec les photos de Romy Alizée et de La Fille Renne, et au Kid avec des vidéos bien spécifiées pour adultes. Là encore, comme souvent dans les performances, le corps est le sujet – ou l’objet – de ce qui est montré. Les photos risquent de choquer. Les corps, hors normes et sans filtre, sont justement là pour revendiquer plus de tolérance. Les images vont jusqu’à la crudité provocante, mais rappellent que tout ce qui n’est pas lisse ou culturellement correct est exclu de toute communication. Pour preuve l’affiche de Carte noire nommée désir, interdite de réseau sociaux… Les vidéo, elles, présentent des sexualités rarement montrées. Elles seront visible les deux semaines des Performances.

Tous les renseignements pratiques ici.

Commentaires

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  1. Oulala ! publier une photo qui montre une “””””””personne de couleur”””””” exhibant des poupons blancs empalés sur une broche … simple provocation ? Appel à la théorie du grand remplacement ? ou simple “testicule dans le minestrone” ? Faites gaffe les mecs, le sujet est sensible …

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