Depuis l’interview de notre collaboratrice Sophie Deschamps dans Affaires Sensibles de Fabrice Drouelle sur France-Inter le 18 février 2022, des victimes se sont confiées à elle. Parmi elles, un enfant violé durant sept ans par un prêtre en Indre-et-Loire. Un témoignage poignant qui est le récit d’une vie brisée mais heureusement reconstruite.
Il s’appelle Gilles Martin. Originaire de Loches et âgé de 65 ans, la parole se libère pour lui aussi. Il peut enfin parler des viols et agressions sexuelles commises de ses 11 à 19 ans par le Père Bernard Tartu de 1968 à 1975. il est alors soliste au sein des Petits Chanteurs de Touraine (Indre et Loire). Une chorale que le prêtre a dirigé de 1954 aux années 2000 à Loches, Tours et Amboise. Un passé traumatique dont Gilles Martin ne peut toujours pas parler sereinement : « La blessure reste à vif, j’y pense tous les jours. »
Des violences qui l’ont abîmé : « J’avais un sentiment de mal-être permanent. J’ai commencé à m’alcooliser à l’âge de 16 ans donc pendant les agressions sexuelles pour oublier le stress et les angoisses. Car je n’ai jamais refusé les agissements du prêtre et je n’arrivais pas à me l’expliquer. J’ai beaucoup culpabilisé. Aujourd’hui je m’en veux beaucoup moins parce que j’ai fait des psychothérapies durant lesquelles l’on m’a expliqué que j’étais un enfant et sous emprise.»
Sa vie scolaire puis sa vie professionnelle en pâtissent : « Je fonctionnais bien à l’école jusqu’en seconde, mais je n’ai jamais pu avoir mon bac. Malgré tout, je m’en suis sorti parce que j’ai pu entrer aux “Orphelins Apprentis d’Auteuil”. C’est la première main qui m’a été tendue. J’ai repris une formation et ils m’ont embauché comme moniteur-éducateur. »
Des violences qui remontent 25 ans après
La prise de conscience sera longue pour Gilles Martin puisque les faits ne remonteront vraiment à sa mémoire que 25 ans après : « Je perdais pied. Ma directrice technique m’a alors proposé de rencontrer une psychiatre. Celle-ci m’a alors énormément aidé. Tout ce que j’avais refoulé est revenu. C’était en janvier 2002. »
Mais loin de le soulager, cette remontée des souvenirs est alors pour Gilles Martin un véritable chemin de croix : « Je me suis enfoncé encore plus. J’étais déjà soigné pour dépression depuis une dizaine d’années. Je prenais des antidépresseurs et des anxiolytiques et l’alcool avec. Un soir j’ai dit à ma femme que je ne pouvais plus aller travailler. Elle a appelé le Samu. J’ai fait alors un séjour d’un mois et demi dans une clinique neuropsychiatrique spécialisée dans la prise en charge des personnes agressées sexuellement. Ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai pu aussi me sevrer de l’alcool et j’ai continué à être suivi avec la décision en 2002 de quitter la Touraine pour le Sud de la France afin de mettre beaucoup de distance avec ce que j’avais vécu. »
Sa femme le croit, ses parents non
Gilles Martin a longtemps caché ces agressions à ses proches. En 2001, il se décide enfin à en parler à sa femme et ses deux enfants : « On s’est tous mis à pleurer. Mais eux m’ont soutenu. Je vais aussi beaucoup mieux depuis que j’ai retrouvé mes petits camarades petits chanteurs. On se soutient et on s’entraide. Car au début je pensais que j’étais la seule victime du curé. Enfant, je n’en ai jamais parlé à personne, pas même à mes parents. Je ne comprenais pas ce qu’il me faisait à onze, douze ans. De toute façon c’était tabou de parler de sexe à cette époque. Ce prêtre avait des liens avec tous les enfants des petites chanteurs, il était souvent invité à manger chez leurs parents. Tout le monde le trouvait charmant. Il était charismatique. Mais en 2004, quand je me décide à en parler à mes parents, ils n’ont pas voulu me croire. »
En 2004, Il fait un pas de plus en envoyant un courrier à son agresseur : « Je voulais qu’il connaisse les conséquences de ses actes sur mon parcours de vie. Il m’a répondu en reconnaissant partiellement les faits mais pour lui ce n’était pas de la pédocriminalité, c’était du médical (sic). Mais il s’est quand même excusé. »
Une plainte en 2006
En 2006, sur les conseils d’une psychologue Gilles Martin porte plainte bien que les faits soient prescrits : « Je suis tombé sur un gendarme bien formé, qui m’a écouté et surtout qui a transmis le dossier parce qu’ensuite le père Tartu (le prêtre agresseur) a été entendu par la brigade des mineurs de Tours.»
À ce moment là pensant être la seule victime du père Tartu et les faits étant prescrits pour lui, Gilles Martin se dit qu’il ne peut rien faire de plus. Mais en 2019, il remonte en Touraine avec son fils. Il reprend alors contact avec d’anciens copains dont un est devenu diacre.
Réouverture de l’enquête fin 2019
De plus, en décembre 2019, Gilles Martin reçoit un appel de la gendarmerie de Tours qui lui indique qu’elle rouvre l’enquête suite à d’autres plaintes.
En février 2021, Gilles Martin médiatise son histoire avec un article publié le 21 février 2021 par la Nouvelle République du Centre : « Trois autres copains de la chorale me contactent à ce moment-là. Ils ne sont pas victimes mais ils me croient alors qu’auparavant très peu de monde me croyait. »
Création fin 2021 du collectif Les Voix Libérées
Dans la foulée, d’autres victimes se manifestent avec la création le 8 décembre 2021 du collectif Voix Libérées qui regroupe d’anciens petits chanteurs de la Manécanterie ( la chorale) victimes ou non « pour que la vérité éclate et que le pédocriminel soit poursuivi ».
La médiatisation locale des agressions du père Tartu permet à de nouvelles victimes de se manifester. Notamment les frères Mardi mais pour eux aussi les faits sont prescrits. Au total, il y a neuf plaintes contre le père Tartu dont une déposée courant février 2022.
Un diocèse lent à réagir
Du côté du diocèse de Tours, le collectif Les Voix Libérées estime qu’ « il est très lent et tiède dans ses réactions ». Une nouvelle demande de rendez-vous a été faite le 11 février 2022 pour obtenir des réponses de Mgr Jordy, archevêque de Tours depuis 2019 mais seule une réponse “en attente” a été envoyée.
Christian Gueritauld, membre du collectif indique toutefois que « depuis le tapage médiatique de décembre, Bernard Tartu a été prié de quitter la maison de retraite de Chinon pour revenir à Tours. En effet, il avait encore des contacts avec des familles et voyaient encore des enfants, ce qui nous a fait hurler et réagir le diocèse.» Il semblerait également que le prêtre agresseur, Bernard Tartu soit en passe d’être “défroqué”, c’est-à-dire ramené à l’état laïc ce qui n’empêcherait pas un collectif de le défendre.
Une messe ce dimanche dédiée aux victimes à Tours mais sans elles
Mais l’archevêque de Tours a semble t-il du mal à joindre l’acte à la parole. Dans une lettre adressée aux fidèles le 10 octobre 2021 après la publication du rapport public de la CIASE ce dernier écrivait : « il faut avant toutes choses dire les responsabilités face à des vies qui ont été détruites, des personnes broyées par des comportements inacceptables. Il nous faut entendre le cri de souffrances de toutes ces personnes et y porter attention de manière concrète.»
Toutefois, on l’a vu, les membres des Voix Libérées n’ont toujours été reçus par l’archevêque. Pire une messe sera célébrée ce dimanche 20 mars 2022 à 18h 30 en la cathédrale de Tours en hommage aux victimes mais sans que celles-ci aient été associées à cette célébration.
Face à cette attitude, le collectif a décidé de se faire entendre avec la proposition d’une lecture-prière universelle estampillée “Voix Libérées” avec le chant emblématique du collectif « Choral final de la passion selon Saint Jean » en hommage aux victimes.
Si le diocèse refuse cette option le collectif fera alors une lecture “forcée” d’un texte en fin de messe au moment des annonces hebdomadaires.
Par ailleurs, un tract d’information sera distribué aux passant.es sur le parvis et la voie publique après cette célébration.
Les revendications du collectif Les Voix Libérées vis-à-vis de l’archevêque de Tours, Vincent Jordy :
-Que Mgr Jordy reçoive les victimes (plaignantes en justice ou non), et les membres du collectif le souhaitant,
-Que Bernard Tartu avoue tous les abus sexuels qu’il a commis sur des mineurs lorsqu’il dirigeait la manécanterie durant 50 ans,
-Qu’il demande individuellement pardon à toutes les victimes (plaignantes en justice ou non)
-Que le Diocèse apporte la preuve que Bernard Tartu est exclu de l’Église et qu’il n’approchera plus d’enfants mineurs,
-Que le Diocèse reconnaisse ne pas avoir traité en son temps le dossier Tartu autrement qu’en le déplaçant dans le département sans jamais le sanctionner et sans jamais l’empêcher d’être en contact avec des mineurs,
-Que les victimes le souhaitant obtiennent réparation,
-Que l’Église fasse tout pour que cela ne se reproduise plus.