“L’autre monde” possible de Stéphane Brizé

Présenté à la Mostra de Venise 2021, le nouveau film de Stéphane Brizé est le dernier volet d’une trilogie de films sur la violence au travail. Après La loi du marché et En guerre. le cinéaste nous plonge dans la vie du manager d’un site français, filiale d’une grande entreprise américaine du CAC 40. Un homme dont la vie craque de tous les côtés, magistralement interprété par Vincent Lindon. Un long-métrage coup de poing mais au final optimiste.

Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain, couple à la dérive dans Un autre monde. DR

Par Sophie Deschamps et Antoine Lebrault

Un autre monde c’est aussi la chanson éponyme du groupe Téléphone qui commence ainsi : « Je rêvais d’un autre monde où la terre serait ronde, où la lune serait blonde et la vie serait féconde. » Justement, plus rien ne tourne rond pour Philippe Lemesle (Vincent Lindon, parfait en homme seul, fermé mais faussement insensible).

Car contrairement à ses films précédents La loi du marché (2015) ou En guerre (2018) où Vincent Lindon interprétait un chômeur en quête de travail puis un syndicaliste qui lutte contre la fermeture de son usine, Stéphane  Brizé lui a donné cette fois le rôle d’un patron.

Dirigeant d’un site français du Groupe Elsonn, une enseigne fictive spécialisée dans l’électroménager, la direction américaine du groupe demande aux cinq sites français de licencier 10% du personnel deux ans et demi après un précédent plan social. L’objectif est clair, il faut accélérer la rentabilité de la boîte pour subvenir aux attentes des actionnaires de Wall Street. Mention spéciale d’ailleurs à Marie Drucker. Pour son premier rôle au cinéma elle est épatante en patronne froide, cynique, aux ordres du groupe américain, sans souci de la casse humaine qui en découle. 

L’humain remis à sa vraie place

Shooté aux antidépresseurs et au travail Philippe Lemesle n’a plus une seconde pour ses proches. Sa femme Anne (Sandrine Kiberlain, tout en finesse) frustrée et à bout demande alors le divorce. Bien sûr, on ne boude pas son plaisir de voir ces deux là autrefois unis à la ville à nouveau réunis le temps d’un film.

Mais paradoxalement c’est l’effondrement de son fils Lucas surmené par son école de commerce (Antony Bajon, lui aussi impeccable et que l’on avait remarqué dans Une Jeune fille qui va bien) qui va lui permettre enfin de se réveiller et de faire les bons choix. 

On peut bien sûr ne pas aimer la façon de filmer de Stéphane Brizé. Sa caméra s’avance en effet au plus près des personnages, de trois quart ou même parfois de dos comme pour nous faire entrer dans leur tête et leurs pensées mais sans nous faire devenir voyeurs pour autant. 

Film après film, Stéphane Brizé confirme sa marque d’un cinéma infiniment humain, servi par des dialogues soignés et des formules qui font mouche. Stéphane Brizé s’est d’ailleurs inspiré d’un grand nombre de témoignages de managers en burn-out pour ce long-métrage. Mais attention c’est un film dont on ne sort pas indemne. Il montre, une fois de plus, qu’il y a urgence à refaire tourner notre planète dans le bon sens en ces temps troublés (le film a été tourné pendant la pandémie) en remisant nos certitudes et en redonnant toute sa place au doute. Un autre monde, quoi.

Commentaires

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  1. Merci pour avoir souligné la qualité et la portée de ce film dont l’humanité dénonce si bien l’inhumanité de notre monde actuel … et l’urgence de le changer

    • Pour ne pas changer ce monde, votez Macron. Sinon, souffrez en silence.

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