Fibres Libres. C’est le nom de la nouvelle exposition du château de Saint-Jean-Le-blanc près d’Orléans. Huit femmes artistes de talent y sont réunies avec comme point commun l’utilisation de fils et de textiles. Le résultat est tout simplement bluffant et surprenant.
Par Sophie Deschamps
C’est une exposition qui a failli passer à la trappe à cause de la pandémie, ce qui aurait été vraiment dommage. Mais Ghislaine Bagot, artiste et organisatrice de cet évènement a tenu bon. Toutefois, vous ne découvrirez ni peintures, ni sculptures mais des œuvres originales et variés faites à partir de fibres, de tissu, voire de papier.
Créer à partir d’éléments textiles
Ainsi, Ghislaine Bagot s’amuse à détourner depuis quelques années les bons vieux canevas des années 60. C’est pourquoi elle a eu envie de réunir autour d’elle sept femmes artistes qui partagent sa passion des fibres : « J’avais à cœur de montrer que c’est un médium qui permet une expression artistique aussi forte que la peinture, l’argile ou d’autres techniques plus traditionnelles. Il s’agit bien d’œuvres contemporaines et non d’ouvrages de dames.
Des canevas remaniés avec humour
Ce qui frappe d’emblée c’est l’imagination et le talent de ces artistes confirmées qui se sont saisies chacun avec son style de la fibre textile. Le résultat est un patchwork d’œuvres variées et originales. Revenons donc à Ghislaine Bagot et ses canevas revisités : « Je les détourne avec humour, tendresse parce que ça me désespérais de voir tous ces canevas et tapisseries mis au rebut. Donc ce qui m’ a intéressée, c’est de constater que ce sont presque toujours des reproductions d’œuvres d’art qui traitent essentiellement de l’amour avec des scènes galantes et pastorales. A partir de cette banque d’images textiles, j’ai eu alors l’idée de faire une forme de pop-art textile.
Claire Feuillet s’intéresse aussi aux canevas mais d’une façon totalement différente puisqu’elle collectionne et remanie des abécédaires qu’elle chine dans des brocantes : « Je travaille le textile depuis dix ans mais comme je suis avant tout peintre, je les considérais comme un peu secondaires. C’est Ghislaine qui m’a convaincu de les montrer.» Des tableaux qui ont aussi un sens, une histoire et une arrière-pensée féministe : « Je travaille sur les abécédaires spécialement parce que c’est très intéressant par rapport à l’éducation des filles notamment au XVIIIe siècle. Les petites filles apprenaient à lire en brodant les lettres puisqu’elles n’allaient pas l’école. Donc je rajoute des petits textes dans les coins qui peuvent passer pour des pamphlets féministes. »
« Des installations oniriques et intimes »
Comme Ghislaine Bagot l’écrit dans le catalogue de l’expo : « Parques des temps modernes, ces plasticiennes tissent leurs toiles en installations spatiales arachnéennes, oniriques et intimes. C’est ainsi qu’au rez-de-chaussée on pénètre dans une sorte de grotte très joyeuse et très colorée signée Monique Attard : “Je déchire, je roule, je déploie, et telle l’araignée, j’accroche mes fils et je structure la future sculpture. Puis la matière décide : un lourd drapé ou un léger évaporé, du froissé, du plissé, du velours à la dentelle, je touche, je joue. Je noue, je tisse, je suspends, j’entremêle.”
Changement d’ambiance au second étage avec le très poétique univers onirique fait de plumes et de poissons pris dans des filets, le tout crée par Hélène Herbosa : « Les merveilles esthétiques, belles ou monstrueuses, des animaux et des végétaux m’inspirent et c’est inépuisable. »
Et pour qui sait regarder, un coup d’œil à la fenêtre permet de découvrir la cathédrale d’Orléans, au loin, à croire que cette ouverture a été créée dans ce but à cet endroit.
Des chemises et des draps comme toiles de fond
Mais revenons à nos chiffons. Les vêtements et les draps sont aussi détournés. Pour Laurence Bernard, ils remplacent avantageusement la toile d’un tableau puisqu’ils permettent alors des jeux de transparence. De parler de l’intime aussi puisque ces chemises et ces robes ont été portées : « Qu’il s’agisse de traces peintes à l’huile ou de dessins au fil rouge, mes interventions plastiques donnent à ces supports textiles leur qualité d’oeuvre sensible que leur installation en suspension dans l’espace d’exposition confirme. »
Des dentelles et de la soie sauvage
C’est enfin Zenga qui réalise de magnifiques oeuvres monumentales à base de soie sauvage et en cousant de magnifiques dentelles point après point sur des fonds bleutés dont elle aime faire varier les nuances. Des fonds marins où se croisent des méduses ou des paysages champêtres où se côtoient des fleurs délicates et colorées au gré de son inspiration : « En fait, je ne travaille pas à partir d’un dessin. Quand je commence à travailler, je ne sais pas ce que je vais faire la plupart du temps. J’ai un fond de soie, de couleur, je cherche les dentelles qui peuvent être posées dessus et ensuite quelles dentelles peuvent discuter entre elles. Une fois choisies, je commence à chercher ce que ça m’évoque et je commence à créer l’image. »
De la poésie à fleur d’oeuvre
Mais rien n’interdit de mêler les fibres textiles à d’autres matières comme le bois par exemple, à l’instar de Sandrine Torterat qui se définit comme une glaneuse : « Je glane des restes, des restes d’Humanité et des restes de Nature.(…) Je les mets en relation grâce au fil, par le tissage, le noeud, la ligature en fonction des matériaux, presque sans réfléchir ni but préétabli. »
Des oeuvres engagées
Au premier étage, on découvre le travail tout en sensibilité de Maria Collin. Cet artiste d’origine polonaise oriente peu à peu son œuvre sur le thème de la migration avec des œuvres fragiles : « La figure expressionniste des fugitifs migrants en errance s’est déployée sur de grands voiles transparents flottants, dans des installations in situ. »
Bref, il vous faudra prévoir plusieurs heures ce week-end pour découvrir en détail cet univers textile qui révèle les talents multiformes de ces huit femmes éprises de fibres et dont cet article est loin d’avoir détaillé toutes les merveilles qui s’y trouvent.
Fibres Libres. Exposition textile gratuite à découvrir jusqu’au 13 février 2022 au château de Saint-Jean-le-Blanc, 142 rue Demay de 14h à 18h30.