En attendant Macron, pessimisme primaire, chanson populaire

[Carnet de campagne]
À deux mois du premier tour de l’élection présidentielle, l’indifférence majoritaire face à une « drôle de campagne » coexiste avec le désarroi des électeurs de gauche. En attendant Macron et sa déclaration comme d’autres attendaient Godot, le débat patine, les attaques des oppositions tombent à plat faute de véritable débat, excepté une amorce au Parlement européen. Paradoxe supplémentaire, la « primaire populaire » qui devait simplifier le paysage à gauche en faisant émerger un(e) candidat(e) unique à accoucher d’une souris et encore aggravé la confusion. Championne de la déconstruction, Sandrine Rousseau a eu le mot juste en déclarant dimanche soir avec l’ironie du désespoir que désormais, il ne manquait plus que l’annonce de la candidature de François Hollande ! État des lieux.

Par Pierre Allorant

De la lutte des classes au bulletin du conseil de classe : la gauche mention passable

Les organisateurs de la « primaire populaire » ont eu beau jeu de se féliciter d’un réel succès de participation : qui d’autre peut aujourd’hui s’enorgueillir de mobiliser près de 400 000 personnes, qui plus est pour départager des candidats qui ont refusé au préalable la règle du jeu ? Toutefois, ils ont commis la faute grave, attestée par une vidéo, de montrer autant de neutralité à l’égard de Christiane Taubira que Gabriel Attal quand il évoque la politique gouvernementale. Appeler ouvertement à barrer la route des 500 signatures à Hidalgo, Jadot et Mélenchon n’est pas une maladresse, c’est une faute lourde qui a terni le processus et compromis toute possibilité d’union. De plus, si la formule des appréciations a pu séduire, l’annonce des résultats a montré à la fois son côté obscure (combien de voix a obtenu chaque candidat ?) et infantilisant, ramenant chacun aux affres des conseils de classe ou des attentes anxieuses de résultats de mentions au bac.

Mais le pire est ailleurs : ajouter une candidature supplémentaire quand on prétendait arbitrer et clarifier, c’est une politique de gribouille. Imagine-t-on Valérie Pécresse contrainte à présent d’affronter non seulement Ciotti, Barnier et Bertrand, mais un Laurent Wauquiez qui aurait été adoubé par son fan club ? Et ramener l’ancienne Garde des sceaux à sa situation d’il y a 20 ans – la candidature de trop qui exclut la gauche du second tour – constitue un triste clin d’œil de l’histoire électorale. Si la chanson populaire française connaît le « ça ira ! » révolutionnaire, faudra-t-il encore que la championne des radicaux de gauche obtienne les parrainages d’élus nécessaires en un temps record. Mais même son absence ne suffirait pas à muscler les campagnes de Jadot et d’Hidalgo, à l’image de la disparition d’Arnaud Montebourg qui n’a profité à personne.

Atrides et putrides. Maréchal, la voilà !

A côté du pugilat illisible de l’ancienne gauche de gouvernement, la situation est-elle plus claire à droite et à l’extrême droite ? Après les provocations de lancement du « produit » Zemmour (le mépris des femmes, l’exclusion des handicapés, le rejet de l’immigration et la haine de l’islam), ce versant droitier du populisme est passé aux partages des dépouilles, un grand classique : après la trahison de Mégret (sans le talent de Simenon), le schisme de l’antivax Philippot – probablement passé du « Frexit » à la » Vaccit » – place au massacre au sein des Atrides, la firme familiale Le Pen, en un jeu des sept familles où toutes les cartes ressembleraient au pouilleux. Nièce contre tante, mais derrière ce côté Gala, RN canal historique contre « l’union des droites », de Maréchal à Zemmour et demain à Ciotti, en cas de défaite de LR dès le premier tour. Le spectacle des débauchages individuels – y compris du porte-parole de la candidate, Nicolas Bay des cochons plus que des Anges – n’est pas très ragoûtant, sans doute Marine Le Pen en espère-t-elle une empathie comme en bénéficia en son temps « Super menteur », Jacques Chirac trahi par les siens qui lui préféraient la rassurante notabilité louis-philipparde d’Édouard Balladur.

L’inquiétant faux-plat de la droite. De quoi Pécresse est-il le nom ?

Alors que les lendemains de victoire au congrès de LR avaient semblé remobiliser une droite tétanisée par la perspective d’une double candidature du fait du cavalier seul de Xavier Bertrand – en réalité, sa traversée, non du désert, mais du bac à sable de Saint-Quentin – la première femme porteuse des espoirs de reconquête de la droite a du mal à trouver un second souffle, à imprimer sa marque sur la campagne. Il est vrai que la tâche est rude, faute d’adversaire direct. Depuis la première alternance de 1981, le jeu naturel pour le candidat du principal parti d’opposition consiste à démolir le bilan du Président sortant avant de tenter d’imprimer des propositions marquantes. Or le retrait volontaire sur son Aventin du Président… du Conseil européen, qui observe tranquillement ses adversaires se déchiqueter, prive la candidate de droite d’un sparring-partner. Son agressivité tombe à plat et ne ressemble, pour l’heure, qu’à un pâle remake du tube de la droite des années 2007, du « travailler plus » au karcher ressorti du placard.

Quant à sa proposition phare de diminution drastique du nombre de fonctionnaires, elle rappelle les outrances néo-libérales de la campagne Fillon, désormais inaudibles y compris dans l’électorat conservateur âgé, désireux de protections et de services publics en état de marche sur l’ensemble du territoire. Patrick Stéfanini est sans doute, expérience préfectorale oblige, un très bon organisateur de campagne, mais miser sur une cible aussi restreinte que la « droite versaillaise » est un pari risqué : peut-être habile pour garder un électorat tenté par le repli identitaire nostalgique de Zemmour, mais inopérant pour vaincre et rassembler une majorité de Françaises et de Français au second tour.

Rendez-vous démocratique

Si l’on éprouve la fâcheuse impression que la plupart des appareils partisans jouent déjà l’anticipation de la réélection de Macron, les postures préparant l’après-législatives sont dangereuses pour la démocratie. Comment redonner le goût de se rendre aux urnes si le match se joue sur tapis vert et à huis clos ? Et ce serait oublier que le mécontentement face à la flambée des prix, la crainte de baisse du pouvoir d’achat, le malaise des services publics fragilisent le sortant. Le ministre de l’économie a cru bon d’évoquer un nouveau choc pétrolier. Or, quelles ont été les deux présidentielles les plus disputées de la Cinquième République ? 1974 et 1981.

En revanche, on chercherait en vain le talent unificateur des forces d’alternance de François Mitterrand. Février est le mois décisif des retournements de tendance, d’atmosphère et de sondages. Raison de plus pour Emmanuel Macron d’éviter l’obstacle et d’attendre la rentrée scolaire pour sa « déclaration » comme le chantait France Gall. Conformément à son slogan de campagne, le fameux « Avec vous », calque de « la France unie » mitterrandienne de 1988, entonnera-t-il, tel Brassens, « j’ai rendez-vous avec vous » ?

En toute hypothèse, le débat démocratique gagnerait à ne plus trop tarder.

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