Après la chute de Kaboul et les évacuations chaotiques d’août et septembre dernier, la mobilisation des acteurs de la société civile pour l’accueil des réfugiés a pris différentes formes. Le mouvement sportif a fait sa part, l’Union cycliste internationale a ainsi pris en charge l’évacuation et l’accueil de nombreuses filles qui pratiquaient le cyclisme de compétition, des équipes de football féminin ont pu également être évacuées et prises en charge. La solidarité internationale des journalistes s’est exprimée avec l’appui des syndicats et de Reporters sans frontières, de même Avocats sans frontières soutient les juristes afghans en intervenant auprès des pouvoirs publics pour l’obtention de visas d’asile.
Par Patrick Communal
Ecole d’art pour réfugiés DP FRAC
Pourtant, il semble qu’en France les acteurs culturels institutionnels n’aient pas été vraiment au rendez-vous de l’hospitalité à l’exception notable du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) de Marseille et du Fonds régional d’art contemporain Centre Val de Loire (FRAC d’Orléans) sous l’impulsion de son directeur Abdelkader Damani et de Marine Bichon, chargée de communication.
De Kaboul à Orléans
Le FRAC d’Orléans souhaitait ouvrir ses portes à des artistes afghans en exil accueillis en résidence, notamment dans le cadre de la biennale de Vierzon de 2022 mais probablement aussi pour animer d’autres projets à inscrire au catalogue de l’institution orléanaise. Un contact a pu être établi, via les réseaux sociaux, avec un couple d’artistes, Ahmad Shukran Shirzad et Lida Shirzad retenus depuis plus de deux ans dans le camp Moria sur l’île de Lesbos. Shukran a fui l’Afghanistan en juin 2017 après avoir été menacé par des terroristes islamistes hostiles à son activité artistique et à sa présence dans les médias. Lida a rejoint son mari à Istanbul en mai 2019, ils ont gagné la Grèce par voie terrestre et maritime, dans des conditions très périlleuses puisqu’ils ont failli disparaître en mer en affrontant la tempête. A leur arrivée, ils ont été placés en rétention dans le camp de Moria sur l’île de Lesbos par les autorités grecques. La presse internationale a largement rendu compte de la dureté des conditions de vie imposées à des milliers de réfugiés dans ce camp avant sa destruction lors d’un terrible incendie.
Lida et Shukran
Lida est professeure d’arts plastiques, Shukran est peintre mais il a d’autres cordes à son arc puisqu’en Afghanistan il a été également danseur, chanteur, et acteur de séries télévisées. Participant en 2013 à l’émission « the voice of Afghanistan » il est remarqué, lors des auditions à l’aveugle, par la célèbre chanteuse Aryana Sayeed, connue pour son combat contre les Talibans et pour les droits des femmes. L’émission avait été tournée avec une forte protection armée présente sur le plateau et Aryana Sayeed, apparue sans voile, avait fait l’objet d’une fatwa appelant à sa décapitation.
Au camp de Lesbos, avec le frère de Lida, déjà présent sur place, le couple crée une école où, en dehors des apprentissages scolaires classiques, on enseigne également la peinture. Les œuvres racontent la guerre, l’exil, les périls du voyage en mer, la vie au camp… L’expérience a été interrompue par le tragique incendie qui détruisit les installations précaires du camp et laissa les réfugiés sans abri pendant de longues nuits. Le matériel fut totalement détruit. La presse internationale commence alors à s’intéresser à cette activité artistique, des journalistes offrent des boites de peinture, l’école se reconstitue avec l’appui d’une ONG proche du camp : « One happy family ». Les œuvres plus récentes racontent l’incendie du camp, l’évacuation de Kaboul par les forces américaines…
Lorsque le couple est informé de l’invitation du FRAC d’Orléans, Lida éclate en sanglots en découvrant, après ces années de peur, puis de galère sous la tente, que des personnes veulent leur venir en aide. Un conseiller de l’Elysée est sollicité pour que la représentation diplomatique française d’Athènes organise le transfert mais Shukran et Lida arrivent à Orléans par leurs propres moyens et déposent une demande d’asile début janvier.
Le FRAC en accueillant des artistes en exil ne nous raconte pas simplement une belle histoire, sa démarche s’inscrit dans un projet culturel global – la fabrique du réel – dans lequel il se définit comme une institution qui se propose d’apporter aux politiques publiques et aux citoyens et citoyennes, une manière de penser le monde dans lequel nous vivons.
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