L’abbé et l’instituteur, deux héros et martyrs de la résistance dans le Loiret

L’historien Georges Joumas a donné une conférence ce vendredi 14 janvier 2022 à Fay aux Loges sur l’abbé Thomas et l’instituteur Roger Giry. Deux personnalités issues de deux mondes différents. Rien ne les prédestinait à se rencontrer et encore moins à oeuvrer ensemble. Mais la seconde guerre mondiale est passée par là et a tout bouleversé, jusqu’à leur fin tragique en août 1944.

par Sophie Deschamps

Georges Joumas, historien a évoqué deux figures emblématiques de la résistance loirétaine le 14 janvier 2022 à Fay-aux-Loges. Photo Sophie Deschamps

La quarantaine de personnes présentes ce vendredi 14 janvier 2022 à la salle des fêtes de Fay-aux-Loges ont suivi avec un grand intérêt cette plongée dans la résistance loirétaine. Une période dramatique de notre histoire avec ses héros et ses martyrs, souvent les mêmes d’ailleurs. L’historien Georges Joumas avait choisi de mettre l’accent sur deux grands résistants l’abbé Georges Thomas et l’instituteur Roger Giry. Deux hommes qu’à priori tout séparait mais qui ont néanmoins lutté main dans la main contre les nazis. Mais avant de parler de leurs actes de bravoure, l’historien a dressé tout d’abord leurs portraits.

L’abbé Georges Thomas

C’est le héros de Fay-aux-Loges avec de nombreuses marques de respect et d’hommages disséminées dans toute le village : la rue principale porte son nom, une grande plaque lui rend hommage. Il est cité sur le monument aux morts, dans l’église et bien sûr ses faits d’armes sont mentionnés sur sa tombe.

Fils d’un agriculteur puis apiculteur catholique très pratiquant, Georges Thomas nait le 31 juillet 1914 donc à Fay-aux-Loges, juste avant la déclaration de la 1ère guerre mondiale. Brillant élève, il arrive jusqu’au certificat d’études primaires. Musicien, il joue du trombone et apprend à piloter une moto, ce qui lui sera fort utile dans la Résistance.

L’abbé Georges Thomas, grande figure de la résistance loirétaine

Libéré de ses obligations militaires en 1937, il annonce alors à sa famille sa volonté de devenir prêtre. Il a alors 23 ans. Une décision qui le mène au Petit séminaire de Fontgombault dans l’Indre, spécialisé dans les vocations “tardives”. Il y reste deux ans avant d’être mobilisé le 2 septembre 1939 dans le 131e régiment d’infanterie d’Orléans ce qui le conduit dans le Nord de la France. Le 18 mai 1940 c’est la débandade totale de l’armée française avec le piège de la fameuse “poche de Dunkerque”. Il arrive toutefois à s’en extirper et à rejoindre l’Angleterre puis à revenir en France six jours après. En septembre 1940, il entre au Grand séminaire d’Orléans.

L’instituteur Roger Giry

Roger Giry naît lui le 1er septembre 1909 à Pithiviers. Son père Henri Giry est comptable et sa mère couturière. Entre six et douze ans, il est élève à l’école publique de garçons de Pithiviers. Et ensuite à l’école primaire supérieure, l’équivalent de notre collège. Désirant devenir instituteur, il est admis in extrémis en 1925 au concours de l’école Normale d’Orléans. Il en sort deuxième de sa promotion en juillet 1929. Côté armée, en octobre 1930 il fait son service à l’école militaire d’infanterie de Saint-Maixant. Il en sort un an après troisième de sa promotion sur 400 ! Il est alors rattaché comme réserviste en tant que sous-lieutenant au 131 ème régiment d’infanterie d’Orléans, le même que celui de l’abbé Thomas. Le 3 août 1933, il se marie avec Cécile, institutrice comme lui. De cette union naît le 28 août 1937 une fille, Rosemonde, qui est toujours de ce monde.

A la rentrée 1938, le couple Giry est nommé à l’école de Nibelle. Les rapports d’inspection louent « ses remarquables qualités d’enseignant ». De plus, il anime bénévolement dans le village une bibliothèque populaire. Il reste toutefois en contact avec l’armée avec deux périodes militaires qui lui permettent d’obtenir le grade de lieutenant. Comme le souligne Georges Joumas, le commentaire de son colonel est prémonitoire : « Le lieutenant Giry est un excellent chef de section, apte à faire campagne. » En effet, il ne fera pas campagne dans l’armée mais dans la résistance. Tout comme l’abbé Thomas, Roger Giry est mobilisé le 2 septembre 1939 et il se retrouve aussi pris dans la redoutable poche de Dunkerque. Blessé, il est alors évacué en Angleterre où il est soigné durant quatre mois et demi. Ce qui ne l’empêchera pas de reprendre son poste d’instituteur le 28 octobre 1940.

En 1941, les premières mesures du gouvernement de Vichy se font sentir puisque comme tout fonctionnaire, il doit signer deux documents dans lesquels il doit affirmer qu’il n’est ni juif, ni franc-maçon.

Les deux hommes entrent dans la Résistance

Georges Joumas explique alors que ces deux hommes qui ne se connaissent pas encore ont toutefois plusieurs  points communs : leurs pères ont été mobilisés pendant la guerre de 14-18. Ils ont été incorporés dans le même corps d’armée, le 131 régiment d’infanterie d’Orléans. Enfin, ils ont connu tous deux l’humiliation de la défaite française.

L’abbé Thomas entre dans la Résistance, à l’été 1943 sous l’impulsion de l’abbé Roger Visage, curé de Vitry-aux-Loges, grand résistant qui ne sera jamais arrêté. L’abbé Thomas intègre alors Libération-Nord tout comme Roger Giry. C’est alors un mouvement de résistance très important, à orientation socialiste. Comme le fait d’ailleurs remarquer très justement Georges Joumas « on aurait pu penser qu’il serait plutôt allé vers le groupe Vengeance qui regroupait alors beaucoup de démocrates-chrétiens. Mais non il a choisi Libération-Nord et on ignore pourquoi » . L’abbé Thomas va devenir très actif afin d’implanter des groupes de résistants à Sully-la-Chapelle, Chambon, Chilleurs-aux-Bois…Il est déjà associé à Roger Giry pour toutes sortes de taches : parachutages d’armes et d’agents britanniques, fabrication de faux papiers, obtention et transmission de renseignements sur les troupes nazies. 

Des grands résistants loirétains arrêtés fin 1943

Mais à l’automne 1943, la Gestapo déterminée à anéantir ce mouvement trop puissant commence à taper très fort. Les responsables sont pourchassés. Certains sont arrêtés puis déportés. Notamment André Dessaux,des célèbres vinaigreries. Déporté, il reviendra très malade. Il sera tout de même élu mais seulement pour quelques semaines, maire d’Orléans à la Libération. Il y a aussi Pierre Ségelle, Arrêté en décembre 1943, il est incarcéré à la prison d’Orléans puis transféré à Compiègne. Le 2 juillet 1944 il est déporté à Dachau d’où il n’est libéré qu’en mai 1945. Il sera aussi maire d’Orléans de 1954 à 1959. En tant que ministre de la Santé, il sera l’un des pères de la Sécurité Sociale. Il convient également de citer Roger Secrétain et Pierre Chevallier.

La clandestinité 

L’abbé Thomas est aussi activement recherché par la Gestapo. Deux de ses membres se présentent au Grand séminaire le 10 décembre 1943 pour l’arrêter. Heureusement, alerté par ses camarades qui font bloc, il arrive à s’enfuir mais il est en soutane. Plusieurs habitants du quartier refusent de lui procurer des vêtements civils mais il arrive à se cacher dans un immeuble en travaux. Un peu plus tard, Il réussit, grâce à sa moto, à rallier l’hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais où il connaît une religieuse de Fay-aux-Loges qui lui procure enfin des vêtements plus discrets. Il est ensuite hébergé chez des proches, et des membres de sa famille. Mais il doit sans cesse changer de cachette et d’apparence. Considéré comme clandestin, son père est alors arrêté. La Gestapo fait paraître dans le Républicain Orléanais, qui deviendra à la Libération La République du Centre, le 8 janvier 1944 un avis priant l’abbé de donner son adresse… dans l’intérêt de son père. Mais il ne tombe pas dans le piège. Son père sera libéré le 25 février 1944 grâce à l’intervention du curé de Sully-la-Chapelle. 

Roger Giry est lui aussi dans le collimateur de la Gestapo. Deux agents français de la Gestapo se présentent à Nibelle en octobre 1943. Il arrive à s’échapper mais sa femme Cécile est arrêtée et incarcérée durant un mois à la prison militaire d’Orléans, située à l’emplacement de l’actuel Palais des Sports. Sa petite fille Rosemonde âgée alors de 7 ans est elle aussi harcelée par un agent français de la Gestapo. Heureusement les voisins chez qui elle est alors recueillie lui explique qu’elle doit dire que son papa est parti aux champignons et que l’on ne l’a pas revu depuis ! Une anecdote que Rosemonde Giry a elle-même raconté à Georges Joumas.

Giry et Thomas prennent le maquis 

Le mouvement Libération-Nord étant très affaibli, ils prennent tous deux le maquis en Sologne et prennent leurs quartiers à la Grange Thivet, près de Sully-la-Chapelle chez la famille Moreau où les jeunes filles de la famille servent d’agent de liaison pour les messages. A l’approche du débarquement, en avril 1944, ces maquis sont très actifs. Et encore plus après le 6 juin 1944, puisqu’ils fusionnent et forment les Forces Françaises de l’Intérieur, les FFI. Pour le Nord Loiret, le commandant en chef est Pierre Charié, le père de Jean-Paul Charié. Sous ses ordres deux hommes de terrain : le capitaine Raymond, Roger Giry et le lieutenant Louis, l’abbé Thomas. Comme le précise Georges Joumas, les deux hommes sont inséparables et agissent toujours ensemble pour des taches multiples de parachutages, de recherche de terrains discrets, pour aider à la création et à la coordination de maquis, et bien sûr harceler le plus possible les troupes allemandes. 

Une fin tragique 

Malheureusement, les deux hommes n’auront pas la joie de vivre la Libération. En effet, le 13 aôut 1944, le colonel Koening, commandant des FFI, appelle tous les maquis à attaquer les allemands partout où ils le peuvent. Giry et l’abbé Thomas organisent alors une réunion de coordination de tous les maquis le même jour à 15h mais ils ne viendront jamais. En effet, au carrefour des 7 routes, de retour du maquis de Chilleurs-aux-bois où ils se sont rendus le matin à moto, au débouché d’une allée forestière, ils sont arrêtés par des soldats nazis. Pire, des bûcherons ont bien essayé de les prévenir du danger mais les deux hommes ont cru à un simple salut et ne se sont pas arrêtés. Menés au château de Chamerolles, ils sont alors torturés puis chargés dans une camionnette pour Orléans, mais finalement pour Lorris.

Stèle de la tombe de l’abbé Thomas à Fay-aux-Loges

L’abbé Thomas est fusillé le 14 août 1944 vers 13h30, le chapelet à la main. Roger Giry est à nouveau emmené en voiture. Il s’échappe et se cache mais il est découvert et abattu par des soldats allemands. Une fin d’autant plus dramatique que les nazis quittent Orléans le 16 août 1944.

Commentaires

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  1. Merci, cher Georges, pour ta superbe évocation de ces deux héros de la Résistance loirétaine. C’est dans la ligne de ton activité d’historien.
    Unis dans l’action jusqu’à la mort, l’abbé et l’instituteur ont montré de façon émouvante ce qu’est l’idéal de fraternité, au-delà des différences d’origine sociale et de sensibilité
    spirituelle.
    C’est une belle leçon pour les jeunes, Il
    s’agissait hier de morale patriotique. La
    fraternité doit être aujourd’hui un principe vivant de citoyenneté républicaine, pour la tolérance, le respect mutuel, le savoir vivre ensemble. Les enseignants ont un rôle essentiel sur ce plan : ils peuvent le faire et le
    font très bien.

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