« Quand je finis un livre, c’est aussi une période de ma vie qui se termine », Julia Deck

Romancière, journaliste, enseignante, Julia Deck a plus d’une corde à son arc. L’autrice tourangelle de 47 ans démarre l’année avec une actualité foisonnante. Son premier roman Viviane Elisabeth Fauville (Les Editions de minuit), sorti en 2012, est adapté au théâtre ; la pièce a débuté sa tournée 2022 à Blois et se poursuit en région parisienne au printemps. Fidèle à son éditeur, en 10 ans, elle a publié cinq ouvrages, dont le dernier, Monument National, est sorti le 6 janvier 2022. Elle assure également une résidence à l’université de Tours avec un projet sur la désinformation qui sera présenté au public le 18 mai prochain. Pour Magcentre, elle raconte et se raconte…

Propos recueillis par Elodie Cerqueira

Vous avez publié Viviane Elisabeth Fauville en 2012 et très vite vous avez reçu plusieurs propositions d’adaptation théâtrale. Pourquoi avoir choisi le projet de Mélanie Leray ?

Julia Deck : Oui, j’étais étonnée qu’il y ait autant de manifestations d’intérêt. A l’époque, je ne connaissais pas Mélanie mais elle m’a présenté un projet solide et cohérent, je lui ai fait confiance. Dans ce roman, il y beaucoup de mouvement, de déplacements dans Paris avec très peu de dialogues, des dialogues indirects… J’imaginais donc plus un film qu’un spectacle statique et finalement Mélanie s’en est sortie avec un jeu entre le cinéma et la scène.

Le 7 janvier dernier, vous avez découvert pour la première fois la pièce. Qu’avez-vous ressenti ?

J.D. : C’était très émouvant. J’étais embarquée, je l’ai vécu de l’intérieur, c’est super ce qu’elle a fait ! C’était très étrange aussi. Je considère que c’est son projet. Elle a son univers qui n’est pas le mien et que je respecte et ça donne au texte une tout autre dimension. Elle a pris un angle que je trouve très intéressant.

Vous aviez tourné la page et voici que le livre s’ouvre à nouveau…

J.D. : Oui, cela me replonge dans une période qui est vraiment éloignée, ça fait plus de 10 ans. Quand je finis un livre, j’ai un peu l’impression que c’est aussi une période de ma vie qui se termine, là j’ai l’impression de replonger dans la préhistoire. C’est un livre qui circule, il fait de l’effet aux gens, pas toujours positif. A sa sortie, j’ai eu quelques réactions assez agressives, vraiment viscérales, qui m’ont décontenancée. Certains se sont mis malgré eux dans la tête d’une femme qui déraille et donc dans une position très inconfortable dans laquelle ils n’avaient pas envie d’être. Chez moi, ça touchait à quelque chose de très ancré et sans doute ça chatouille d’autres gens de manière un peu désagréable.

Pourquoi ?

J.D. : Parce qu’il s’agit de la question de la filiation, de la mère et de la fille, fatalement, en fonction de son histoire, on va réagir différemment. En Allemagne où le livre a été traduit, il y a des gens qui se sont élevés contre le fait que Viviane était une mauvaise mère et que le livre n’était pas moral, notamment à cause de la scène où elle administre des anxiolytiques à son bébé.

Vous dites que « ça touchait à quelque chose de très ancré ». Comme votre protagoniste, vous aviez des comptes à régler avec la psychanalyse ?

J.D. : Oui sans doute. Je suis allée chez le psy très longtemps et c’était très frustrant, ça ne marchait pas du tout. A partir du moment où j’ai commencé à écrire des romans, je me suis rendu compte que je n’avais plus besoin de psy.

Ecrire est un exutoire ?

J.D. : Non, vraiment pas ! Sinon cela voudrait dire jeter sur la page tout ce qui me met en colère et me rend triste. Ecrire c’est mettre en scène, jouer avec des personnages et ainsi mettre à distance des choses, en les exagérant parfois, en les rendant plus dramatiques. Je pense que finalement ça remplit la fonction que n’a pas rempli la psychanalyse. En revanche, écrire ne sert pas du tout à faire une psychanalyse, disons que c’est un bénéfice secondaire. Un roman est vraiment un objet particulier, fabriqué à destination d’un lecteur. Mais je me suis rendu compte qu’en retour, de manière très indirecte, écrire me faisait du bien.

Et votre nouveau roman, Monument National, est sorti le 6 janvier, toujours aux Editions de Minuit. C’est le cinquième en dix ans mais le premier à faire une rentrée littéraire en janvier…

J.D : C’est vrai, j’ai toujours sorti mes livres pour la rentrée de septembre. Je n’ai pas mes repères habituels et le contexte est complètement différent. Je suis un peu dans l’expectative, même si une tournée est prévue fin janvier.

Ce n’est pas votre unique actualité puisque vous êtes en résidence à l’Université de Tours pour un projet sur la désinformation, un sujet qui touche à votre métier de journaliste…

J.D. : Oui, je réalise actuellement un long atelier avec les étudiants de l’école publique de journalisme de Tours (EPJT). En mars, un autre sera ouvert à tous les étudiants de l’université de Tours. Ce sont les deux temps forts de la résidence durant lesquels on va essayer de fabriquer quelque chose qui sera montrable à un public large. On a prévu une soirée de restitution le 18 mai 2022. Ce sera mon anniversaire, il y a donc intérêt à ce que nous produisions quelque chose de bien ! (rires). 

Vous sentez-vous aujourd’hui plus écrivaine que journaliste ?

J.D. : Je n’aime pas trop le mot écrivaine, je préfère dire que j’écris des romans ou que je suis romancière. Et à vrai dire, je considère que c’est mon activité principale depuis que j’ai commencé mon premier manuscrit, il y a 15 ans, avant même de publier. Ce n’est pas forcément l’activité qui me prend le plus d’heures ou qui me rapporte le plus mais c’est celle qui passe avant. Ça ne veut pas dire que mon autre boulot est alimentaire, bien au contraire, il est très important mais je dirais qu’il joue une fonction plutôt d’appui par rapport à l’activité d’écriture. Deux activités qui se complètent car l’une est évidemment asociale et l’autre est sociale.

Etes-vous sur un nouveau projet d’écriture ?

J.D. : Je ne peux pas dire que je suis sur un livre mais j’ai quelque chose dans la tête et dans le carnet. J’avais l’intention de me laisser du temps car entre toutes mes activités je suis très occupée, mais ça m’angoissait, la sortie d’un livre est une période déstabilisante. On est plus à fleur de peau car le livre nous sort de notre carapace.

Beaucoup de stress donc… Êtes-vous sous anxiolytiques ?

J.D. : (Éclat de rires) Ah non ! Je ne prends absolument rien à part deux oranges bio pressées tous les matins ! Je pense que c’est excellent pour les défenses immunitaires et c’est ma drogue la plus régulière !

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