Le collectif La Loire vivra a manifesté le 5 décembre dernier pour protester contre le projet de franchissement de la Loire, à l’est du Loiret. Une date soigneusement choisie puisque c’était la 9e journée internationale des sols. Nous y avons rencontré Richard Laurent, pédologue, spécialiste des sols, qui nous a accordé une interview exclusive.
Propos recueillis par Elodie Cerqueira
Richard Laurent est pédologue, spécialiste de l’étude des sols. En qualité de chercheur, il a étudié l’implantation de la future déviation de la RD 921, de près 15 km qui prévoit la création d’une nouvelle route à 2 voies entre la RD 13 au sud, à Marcilly-en-Villette, et la RD 960 à l’est de la commune de Saint-Denis-de-l’Hôtel. Le scientifique s’interroge sur le bien fondé de ce projet et de ses conséquences sur l’environnement et les usagers.
Vous avez parcouru l’itinéraire du projet de franchissement de la Loire qui a débuté en septembre 2021. Pourquoi ?
Richard Laurent : Pour étudier les sols qui se trouvent au niveau des aménagements et regarder où aurait pu passer cette déviation. J’ai lu les différentes études qui ont été faites pour la mise en place de cet ouvrage gigantesque qui ne va pas manquer de dénaturer le val.
Qu’en avez-vous retenu ?
R.L. : Ce qui est extraordinaire, c’est que dans ces études, à aucun moment, il n’a été fait référence aux sols ! Comme si le sol ne servait à rien, n’était pas utile : on ne fait pas pousser des plantes ni de biens alimentaires dessus. C’est simplement un support pour l’activité !
Vous ironisez mais vous avez réalisé une étude des sols concernés par ces travaux…
R.L. : Oui, sur les 82 hectares accaparés par ce projet. Il y a eu la très belle trouée dans le bois de Latingy où il y a une grande zone humide qui n’est présente dans aucune étude. Cette zone humide sert à épurer toutes les eaux du plateau où l’agriculture exerce une très forte pression sur le milieu naturel. Et ça c’est un élément fondamental. À la sortie sud du pont, la déviation traverse le val, où on a effectivement toute une micro-organisation du terrain avec des montilles (zones en creux) qui canalisent les eaux de surface. Les terrains agricoles, pour qu’ils restent à vocation agricole, ont été drainés, aucune mention de ces drainages n’apparaît dans les études.
Pourtant la circulation des eaux de surface a un impact majeur au niveau du sous-sol ?
R.L. : Oui car on est sur un sol calcaire. Un matériau qui se dissout au contact de l’eau acide, chargée en gaz carbonique, ce qui forme des cavités, appelées karsts, qui peuvent à tout moment s’effondrer. Des karsts sont actuellement en formation, si des concentrations d’eau importantes sont ajoutées, ils se fragilisent et provoquent des effondrements. Ainsi, la non prise en compte des ruissellements dans les études préalables peut entraîner des conséquences importantes sur la formation de ces cavités.
“Une seule chose a été prise en compte : l’égo des décideurs et les conséquences économiques de cet aménagement !“
Comment prévenir cet aléa ?
R.L. : Il faudrait mener des études très précises sur le parcours du pont, là où on installe les piles notamment. Mais ce sont des études lourdes, qui coûtent cher et qui a priori n’ont pas été envisagées. C’est une erreur majeure.
Vous dites que les zones humides et la biodiversité ont été ignorées…
R.L. : Une seule chose a été prise en compte : l’égo des décideurs et les conséquences économiques de cet aménagement ! Pour servir l’intérêt de quelques industriels et financiers au détriment de toute une population, de ceux qui ont besoin de la terre pour produire des biens alimentaires et c’est la réalité qu’on nous propose aujourd’hui. Une réalité qu’en tant que pédologue et citoyen, je considère comme inacceptable !
Pourtant le Conseil départemental du Loiret a commandé une étude auprès du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ?
R.L. : En effet, le BRGM a rendu un rapport en 2018. Puis le département a commandé une autre étude afin d’obtenir de nouvelles données sur le tracé du pont. Le BRGM, dans son rapport rendu public en 2020, a ainsi démontré la présence de karsts en formation et a signalé une situation à haut facteur de risque nécessitant des études complémentaires. Une très bonne étude où tous les éléments, la description et les facteurs de risque de ce territoire ont vraiment été mis en avant, de façon très argumentée.
“Il y a une grosse omerta concernant les prises de décisions et la responsabilité de ceux qui les prennent.“
Quels facteurs de risque ?
R.L. : Des mouvements de terrain, des phénomènes d’effondrement liés au poids de l’ouvrage qui exerce une pression supplémentaire ; des mouvements inhabituels de la nappe qui peuvent entrainer des matériaux de comblement du karst et aussi provoquer des effondrements ; des inondations… On est donc dans un endroit à très haut risque ! Pour l’heure, le chiffrage des moyens à mettre en œuvre pour évaluer ces risques n’a pas été réalisé.
Ces études complémentaires vont-elles être menées ?
R.L. : Pour le moment je ne peux pas me permettre de répondre, je ne connais pas l’avancement des décisions. La question est de savoir si les entreprises responsables de la construction des piles vont mettre en place ces études complémentaires et quels seraient les coûts supplémentaires engagés. Il y a une grosse omerta concernant les prises de décisions et la responsabilité de ceux qui les prennent. En revanche, ce que je sais, ce sont toutes les conséquences en surface et rien n’a été pris en compte. Je trouve ça dramatique, c’est pourquoi je mets bénévolement mes compétences à disposition du mouvement associatif.
On peut se permettre de ne pas tenir compte de la parole scientifique ?
R.L : Bien sûr ! Ce ne sera pas la première fois que les compétences des scientifiques ne sont pas écoutées et que les politiques prennent le pas sur les précautions et sur le savoir, tout simplement. La notion de facteur de risque, à un moment donné, les politiques s’assoient dessus, gentiment. De toute façon, s’il y a un effondrement et que les infrastructures provisoires se cassent la figure, on trouvera les bons arguments pour dire que ce n’était pas prévisible…
Le collectif La Loire vivra poursuit son combat
Ils étaient plus de 130 à marcher le 5 décembre dernier pour protester contre le projet de la déviation de Jargeau. Un projet d’envergure de près de 15 km avec un pont de 570 mètres. La manifestation a débuté à 13 heures devant la mairie de Saint-Denis-de-l’Hôtel, sur l’air de La Paysanne de Gérard Pierron. Parmi les manifestants, des élus, à l’instar de Charles Fournier, 2e vice-Président du Conseil régional, délégué au climat, aux transformations écologiques et sociales des politiques publiques, à la transition énergétique, à l’économie sociale et solidaire et à la vie associative.
Les militants ont symboliquement traversé le pont de Jargeau, dont la circulation congestionnée aux heures de pointe est souvent mise en cause dans ce projet. « Les associations n’ont jamais nié les nuisances engendrées par le trafic du pont actuel, elles sont ressenties à la fois par les riverains et par les usagers. » La sécurité des cyclistes ? « Des solutions beaucoup plus simples et beaucoup moins onéreuses auraient pu être mises en place depuis longtemps », évoquant ainsi la possibilité de construire une passerelle pour les piétons et les cyclistes, adjacente au pont.
Et parce que tous déplorent une atteinte à la biodiversité et à l’environnement, ils ont marché, entonnant leur slogan « Mille sources, un fleuve et tous ses affluents, nous sommes la Loire qui se défend ! » ou leur adaptation de la chanson d’Angèle Balance ton quoi, renommée Balance ton pont. Selon Claudette, maraichère bio à la retraite, membre de la confédération paysanne, « ce projet coupe la Loire dans une zone reconnue patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco pour ses paysages remarquables, dénature l’itinéraire de la Loire à vélo et perturbe une zone naturelle classée Natura 2000 ».
Partis sous quelques rayons de soleil, ils ont ainsi marché pendant près de 2h30, sous une pluie battante et glaciale, jusqu’à la levée, où les travaux ont débuté en septembre 2021.
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