Le diable existe, c’est le totalitarisme

Le film du cinéaste iranien Mohammad Rasoulof, Le diable n’existe pas, s’empare du problème de la peine de mort. Mais va beaucoup plus loin, dans une réflexion de fond sur le système totalitaire qui tient les gens, les oblige à devenir assassins. Avec des histoires d’une très grande force, il fait exister des personnages pour développer des idées primordiales. Un film polyphonique d’une très grande portée artistique.

Par Bernard Cassat

Episode 4: la campagne iranienne comme refuge

Mohammad Rasoulof a une vie compliquée. Il a obtenu pour son avant dernier film un prix «Un certain regard » au festival de Cannes 2017. Ce qui lui a valu une condamnation à un an de prison, la confiscation de son passeport et tout un tas de très grosses tracasseries quotidiennes. Un homme intègre tissait une très belle histoire d’un homme essayant d’échapper à la mafia politique locale dans le nord de l’Iran.

Mais Rassoulof n’a pas désarmé. Il a réussi à tourner tout de même une autre film qui sort cette semaine sur nos écrans, Le diable n’existe pas. Il explique dans une interview citée par Allociné : « Je me suis aperçu que le meilleur moyen d’échapper à la censure serait de réaliser officiellement des courts-métrages. En effet, plus un tournage est court, moins la censure s’y intéresse, donc moins le risque est grand de se faire prendre. J’ai donc commencé à réfléchir à plusieurs histoires. Leur thématique commune s’est vite imposée à moi : la façon dont on assume la responsabilité de ses actes dans un contexte totalitaire.»

Son film comporte donc quatre épisodes. Avec de nombreux points communs, ne serait-ce que l’obligation de faire son service militaire pour avoir les éléments essentiels d’une vie active : passeport, carte d’identité et possibilité de travailler. Seul le premier épisode, terrifiant par sa chute, est dans une autre problématique.

La question centrale n’est pas seulement la condamnation à mort, encore très présente en Iran (251 exécutions en 2019). Mais apparemment, des conscrits qui effectuent leur service sont réquisitionnés pour « tirer le tabouret », comme ils disent dans le film. Donc se trouvent confrontés directement au problème de tuer. Ce n’est pas seulement une question de système. Rasoulof plonge ses personnages dans des dilemmes épouvantables. La discussion de la chambrée, dans le deuxième épisode, envisage tous les cas, notamment suivre les ordres et dans ce cas le bourreau n’est qu’un exécutant. Option qui a largement fonctionné dans le nazisme. Mais il faut supporter ce choix, ce que n’arrive pas à faire le personnage.

Episode 3: une très belle histoire d’amour tragique

Le troisième épisode est une magnifique histoire d’amour brisée par la responsabilité. A un moment, le fiancée dit à sa future belle mère que dire non, refuser de suivre les ordres, c’est gacher sa vie. Elle ne répond rien, mais le regard de cette très belle femme en dit très long ! Et le jeune conscrit va par la suite comprendre que dire oui, c’est peut être encore pire.

Le quatrième épisode, magnifique, dans une campagne assez sauvage, est sans doute le plus complexe mais aussi le plus riche. Surtout en regard du premier. Un homme, père de famille, va chercher sa femme professeur et sa fille à l’école. Ils vont faire des courses et soigner la belle mère. Une petite vie banale, dans un milieu plutot aisé. Sauf que, on le voit au début, son lieu de travail est une prison ! Et que la fin terrifiante de l’épisode, en une image, va donner à cette banalité une saveur absolument innommable.

Rasoulof est un cinéaste de fond. Avec une magnifique technique dans le scénario comme dans la photo et le montage, il prend son temps pour faire exister des idées abstraites. Des scènes qu’on pourrait penser anecdotiques concentrent une émotion cinématographique intense. Cette longue séquence du premier épisode ou le personnage déplace sa voiture qui gène, puis revient à la même place, puis ça recommence. Il ne se passe rien et pourtant la longueur de cette scène a un effet puissant. Plein d’autres du même ordre, plus poétiques, agissent de même. Rasoulov se montre un cinéaste de premier plan. Son acuité du monde, plus perçante que jamais, force au respect et à l’admiration. Et son film, fabriqué dans des conditions si difficiles, est un très grand film.

Le diable n’existe pas

Scénario, réalisation : Mohamad Rasoulof

Avec : Ehsan Mirhosseini, Shaghayegh Shourian, Kaveh Ahangar, Alireza Zareparast, Salar Khamseh

Bande son : Amir Molookpour

Directeur photo : Ashkan Ashkani

Ours d’or à la Berlinale 2020

Photos Pouyan Behagh / Pyramide Distribution

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