La descente aux enfers de la cycliste Marion Sicot

Autrice de Harcelée, dopée mais de retour !, l’ancienne championne cycliste professionnelle loirétaine Marion Sicot raconte son histoire qui l’a conduite, à la suite du harcèlement de son ancien directeur sportif Marc Bracke, à se doper avec de l’EPO. Un livre thérapie passionnant et un témoignage sur le processus d’emprise et d’isolement.

Par Jean-Luc Vezon

Marion Sicot vient de battre le record du monde de dénivelé positif à l’Alpe d’Huez le 19 septembre dernier. Crédit photo Blacklephant


Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?

Marion Sicot : Je suis née il y a 29 ans à Saint Jean de Braye, dans le Loiret. J’ai découvert le cyclisme à 11 ans au Vélo Club Castelneuvien. Cela a été très vite une passion dévorante. J’ai couru en amateur jusqu’en 2012 avec une cinquante de victoires en espoir puis élite. Je suis passée professionnelle en 2013 au sein des équipes Bourgogne Prodialog et Servetto Footon puis au sein de l’équipe belge continentale Doltcini-Van Eck Sport. Professionnellement, je possède une licence Staps et je suis en charge, depuis 2016, de la section sport-étude cycliste au lycée Pasteur du Blanc. Je suis aussi coach professionnelle en cyclisme, duathlon et triathlon et j’interviens pour le comité du Loiret de cyclisme. (1)

Pourquoi avoir écrit ce livre, c’est une forme de résilience ?

M.S. : J’ai souhaité libérer ma parole, partager mon expérience de sportive de haut niveau confrontée au harcèlement, à la pression des résultats mais aussi aux difficultés de l’alimentation et de l’isolement. J’ai voulu aussi dénoncer les dérives d’un système dans lequel des filles isolées, qui ne sont pas rémunérées, ce qui était mon cas, sont fragilisées et maintenues dans la précarité par des managers tout-puissants. Au final, écrire ce livre m’a aidée à me reconstruire, à être plus forte.

Comment êtes-vous arrivée à vous injecter de l’EPO ?

M.S. : J’étais enfermée dans ma passion pour le cyclisme. Durant toutes ces années, je n’existais qu’au travers ce sport m’éloignant peu à peu de mes proches. C’est un cercle vicieux. Puis, j’ai fait la mauvaise rencontre d’un directeur sportif belge. Professionnelle non payée et harcelée, je me suis isolée et j’ai fini par dérailler en me dopant …

Les faits commis par Marc Bracke lui ont valu une condamnation pour harcèlement sexuel par l’Union cycliste internationale avec 3 années d’interdiction de direction…

M.S. : Marc Bracke a profité de ma fragilité, de mes failles, comme mes troubles de l’alimentation, et de mon isolement pour me placer sous son emprise. Il savait aussi que j’étais célibataire. En me demandant des photos en sous-vêtements pour suivre mon poids, il a franchi la limite. Cela a fini de me déstabiliser. Je me suis dit alors que si j’arrivais à faire une grosse performance, il me laisserait tranquille… J’ai donc acheté de l’EPO sur Internet (2) sur un site chinois. C’était une erreur. Ça a été comme un engrenage funeste jusqu’à ce jour du 24 juin 2019 où je me suis injectée le produit quelques jours avant le championnat de France à La Haie-Fouassière…

Vous êtes professeur d’EPS, quels messages faites-vous passer à vos élèves ?

M.S. : Mon cas illustre les dérives du sport confronté au dopage, au harcèlement, à l’argent. Le cyclisme féminin longtemps « masculinisé » dans ses pratiques n’échappe pas à la règle. Je veux aider les jeunes à comprendre, à ne pas reproduire mon geste. Chacun a le droit à l’erreur mais le plus important est de trouver un équilibre entre sa pratique sportive avec les objectifs de la compétition et la vie personnelle. Il importe donc de ne pas s’enfermer, de communiquer avec ses proches et au besoin de se faire aider. Il faut aussi penser à son avenir en dehors du sport en suivant des études ou apprenant un métier. Ma suspension de 2 ans est légitime (3) et je suis heureuse que la commission de discipline de l’’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ait entendu mes arguments à partir notamment d’un reportage de Thierry Vildary sur France Télévision. Il est important que Marc Bracke ait été sanctionné par l’UCI et doive aussi répondre au pénal de ses agissements.

Votre carrière sportive est-elle terminée après cette épreuve ?

M.S. : Cette suspension n’est pas une histoire négative au contraire. Elle m’a aidée à me reconstruire personnellement et sportivement. Ma suspension ayant pris fin le 18 juillet dernier, je pratique toujours le cyclisme et j’ai rejoint une équipe de DN1 (Cognac) mais je me concentre davantage sur le triathlon où mes performances sont encourageantes (4). Je suis licenciée au TCCM à Châteauroux et mon objectif est de participer au prochain championnat du monde à Hawaï. J’ai aussi relevé un défi personnel en battant le record du monde du dénivelé positif le 19 septembre dernier sur les pentes de l’Alpe d’Huez. Je suis fière d’avoir accompli ces 15 339 mètres de D+ et 187,5 km en 24 heures. C’est une victoire personnelle et une forme de rédemption.

Dans des conditions terribles, Marion Sicot a réalisé un authentique exploit avec 15 339 mètres de D+ et 187,5 km en 24 heures. Crédit photo Blacklephant.


(1) www.marion.sicot.fr

(2) 572,10 € les 10 doses avec une livraison sous 20 jours.

(3) L’AFLD a depuis lors déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour mettre en cohérence sa décision avec le code mondial antidopage.

(4) 2e féminine à Embrun le 15 août dernier en 11 h 44′ 46 après 3,8 km de natation, 192 km de vélo et 42 km à pied.

Harcelée, dopée mais de retour !
Blacklephant Éditions
325 pages, 14,90 euros

L’érythropoïétine (EPO)

un carburant surpuissant

Depuis l’affaire Festina en 1998, l’EPO est sortie de l’ombre. Utilisée par certains sportifs et cyclistes pour améliorer leurs performances, cette hormone fait l’objet d’un contrôle strict par les instances sportives et médicales.    

L’effort musculaire demande un apport d’oxygène qui s’effectue en plusieurs étapes. En premier lieu, la ventilation permet aux poumons de récupérer l’oxygène de l’air ambiant qui sera alors fixé par l’hémoglobine des globules rouges (hématies). Le cœur poussera ce sang oxygéné vers les muscles. En augmentant la quantité de sang, transporteur d’oxygène, on peut améliorer le travail musculaire.

Dans les milieux sportifs, dès 1970 est apparu le dopage par transfusion sanguine soit par du sang pris chez un donneur ou avec son propre sang. Les difficultés de stockage et de conservation, les risques d’infections, la lourdeur de la mise en œuvre font que ces techniques étaient problématiques. Or il existe une hormone naturelle fabriquée essentiellement par les reins qui régule la formation des hématies. Cette hormone, l’érythropoïétine (EPO), augmente la fabrication des globules rouges et conduit aux mêmes effets que la transfusion sanguine sans sa complexité.

L’autorisation de mise sur le marché de l’EPO, fabriquée par différents laboratoires, a été obtenue en 1988. Elle fut commercialisée en France dès 1989 afin de combattre l’anémie des malades insuffisants rénaux chroniques qui ne peuvent plus fabriquer cette hormone. Pourtant dès 1987, on soupçonne l’utilisation de ce produit dopant dans le milieu sportif. Le plus célèbre d’entre eux étant Lance Armstrong qui a révélé s’être dopé à l’EPO en 2013 lors de ses sept victoires sur le Tour. En avril 1990, suite à plusieurs décès suspects chez des coureurs cyclistes, le Comité International Olympique interdit l’utilisation de l’EPO.

Commentaires

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  1. Merci pour cet article passionnant et bien documenté et surtout merci à Marion pour sa disponibilité et son humanité.. Tu es une vraie championne…

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