Le 20 octobre est la journée mondiale de l’ostéoporose. Le service de rhumatologie du CHR d’Orléans, qui abrite pourtant l’Institut de prévention et de recherche sur l’ostéoporose (IPROS), n’a pas participé à cette action, découragé par une discorde scientifique. L’ostéoporose est-elle une redoutable maladie qu’il faut traiter ou un simple facteur de risque de fractures, lié au vieillissement ?
Par Jean-Paul Briand
Lorsque l’on tombe, parfois on se casse. Il est reconnu que le risque de fracture est inversement proportionnel à la densité minérale osseuse (DMO). En connaissant la DMO, on peut se faire une idée du risque fracturaire. L’ostéoporose est caractérisée par une faible masse osseuse et une détérioration de la micro-architecture du tissu osseux. L’âge qui fragilise l’os, y est pour beaucoup. Il n’existe pas de référentiel incontestable (gold standard) « marqueur » de l’ostéoporose. Forte de ce constat, en 1994, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a élaborée une classification basée sur les scores (T-score) de la DMO comparée à la densité osseuse théorique de l’adulte jeune, sur les mêmes sites osseux. En cas de fracture, il a été convenu qu’une ostéoporose est sévère, lorsque le T-score est inférieur ou égal à – 2,5.
Problème : La distribution des valeurs de DMO observée chez les personnes fracturées et celle observée en population générale se ressemblent. Les personnes à DMO très basse ne se fracturent pas forcément. Il y a donc d’autres facteurs, que la perte de densité osseuse, qui jouent un rôle dans les fractures dites de fragilité. Faut-il alors se soigner par anticipation ?
La Haute autorité de Santé (HAS) a répertorié des risques de fracture :
- Lorsque l’on a déjà subi une fracture de fragilité, la récidive est fréquente ;
- après 60 ans, l’os est de plus en plus vulnérable ;
- comme toujours, tabagisme et alcoolisme aggravent les risques ;
- la famille n’aide pas : si un parent du premier degré s’est déjà fracturé l’extrémité supérieure du fémur les risques sont augmentés ;
- certains médicaments (corticoïdes) abiment l’os ;
- être trop maigre n’est pas bon (masse corporelle < 19 kg/m2) ;
- chez la femme, une ménopause avant 40 ans accentue le risque ;
- la baisse de l’acuité visuelle, la prise de médicaments agissant sur la vigilance, les troubles neurologiques (perte d’équilibre), musculaires (diminution de la force) et orthopédiques (anomalies des membres inférieurs), sont des causes fréquentes de chutes avec fracture.
Les opposants aux traitement préventifs de l’ostéoporose affirment que c’est sous la pression mercantile des laboratoires pharmaceutique qu’un sujet « à risque » de fracture de fragilité est devenu un malade. A contrario, pour les partisans du dépistage et du traitement de l’ostéoporose, ils considèrent qu’elle est une authentique maladie qui faut rechercher et prendre en charge le plus tôt possible. Les plus sages pensent que des médicaments sont parfois utiles après une première fracture, ou après l’âge de 70 ans. Ils préconisent de commencer par diminuer le risque de chute, de s’exposer raisonnablement au soleil, qui améliore la qualité osseuse, et avoir une activité physique d’entretien à tout âge…
Affection ou business
Ce n’est pas tous les ans qu’une pandémie virale, telle que la Covid-19, enrichit les firmes pharmaceutiques qui ont su fabriquer un vaccin salvateur.
Une nouvelle stratégie consiste non pas à découvrir un médicament pour combattre une maladie, mais à trouver une maladie pour chaque molécule inventée. Ce façonnage de maladie (disease mongering) désigne un ensemble de pratiques destinées à accroître le marché d’un produit de santé par la création de nouvelles maladies. Comme l’a dénoncé Jörg Blech, certains groupes pharmaceutiques sont des inventeurs de maladies .
Le docteur Knock nous a prévenu que « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ». L’industrie du médicament l’a bien compris et, sous couvert de science, transforme en maladie des difficultés normales de la vie. Le domaine psychologique est une mine inépuisable pour de nouveaux et lucratifs marchés. Le chagrin, la tristesse, le deuil, les mauvais résultats scolaires, l’inattention avec ou sans hyperactivité, les caprices enfantins, la timidité, etc, sont autant de troubles comportementaux que de belles molécules vont pouvoir corriger. La peur de perdre la vitalité de sa jeunesse, la crainte du délabrement physique, l’angoisse de la maladie sont tout autant exploités. Tous les processus inéluctables liés au vieillissement deviennent des symptômes à traiter médicalement. Or le symptôme n’est jamais la cause.
Rendu possible grâce à la complicité naïve ou boutiquière de leaders d’opinion et d’experts en santé, cette médicalisation outrancière des difficultés de l’existence engendre une maladie grave et contagieuse : la perte de confiance envers la médecine.